« Je crois que c’est en 1998 que j’ai vu non sans effroi le premier emploi du temps (c’était un CE1) sans aucune séance de lecture. » / ABEE5 / CC BY 2.0

Tribune. Inspecteur de l’éducation nationale depuis 1990 (et tout nouvellement retraité), on me permettra d’apporter mon grain de sel aux nombreux et fort doctes commentaires qui vont accompagner la dernière livraison du « Programme international de recherche en lecture scolaire » (Pirls) [une enquête internationale réalisée sur des écoliers de 9 ans et 10 ans et rendue publique le 5 décembre], dans laquelle la France se situe en bas du classement européen en lecture.

Le grain de sel en question commence au tout début de ma carrière comme instituteur, à la fin des années 1970. A cette époque le quotidien des classes élémentaires était rythmé par la leçon de lecture, pour une part non négligeable d’ailleurs avec le « livre de lecture ». Je me souviens tout particulièrement de L’Oiseau Lyre, qui ne proposait que des histoires complètes, contes classiques pour la plupart. On lisait aussi d’autres textes, romans pour la jeunesse ou documentaires.

Dans mes fonctions d’inspecteur en charge d’une circonscription du premier degré, c’est-à-dire un secteur comptant grosso modo trois cents enseignants et six mille élèves en école élémentaire et maternelle, j’ai observé en vingt-sept années de carrière le fonctionnement de plusieurs milliers de classes, avec une attention toute particulière portée aux travaux des élèves et à l’emploi du temps.

Je crois que c’est en 1998 que j’ai vu non sans effroi le premier emploi du temps (c’était un CE1) sans aucune séance de lecture. Il y avait en revanche de nombreux temps consacrés à l’apprentissage de la grammaire, de l’orthographe, de la conjugaison, du vocabulaire, avec de nombreuses leçons et de non moins nombreuses fiches photocopiées, mais pas de lecture.

Injonction d’une dictée quotidienne

Pendant un entretien mené avec un enseignant, j’ai évoqué ce point sans cacher ni mon étonnement ni ma désapprobation. Pour ce dernier, il n’y avait pas de réel problème, les élèves étant considérés comme lisant au travers de toutes ces différentes activités. A sa décharge il faut reconnaître que le discours sur l’école est plus volontiers centré sur la grammaire et l’orthographe que sur la compréhension. Discours encore tout à fait actuel, il suffit d’évoquer les termes « écriture inclusive » pour s’en convaincre.

Par conviction personnelle ou par esprit de contradiction, j’ai passé une bonne partie de ces vingt dernières années à essayer de faire en sorte que les élèves aient un temps quotidien de lecture dans chaque classe de la circonscription. Et aussi un temps de production d’écrits parce que les deux sont liés. Mais de production d’écrits, pas uniquement de dictée dans laquelle il s’agit juste de reproduire.

Dommage d’ailleurs que la seule proposition du ministre reprise par les médias soit cette injonction d’une dictée quotidienne. Il serait pourtant si simple d’expliquer que l’apprentissage de la langue écrite se fait, tout comme l’apprentissage de la langue orale, par essais et erreurs, au travers d’exercices comme la dictée à l’adulte et surtout avec tous les jours la fréquentation de beaux textes. Les règles ne servent à rien au départ, essayez donc d’apprendre à nager avec la théorie de la brasse pour voir…

Bon, revenons à l’emploi du temps. Dans les programmes les indications horaires sont données par grands blocs. Dans les programmes de 2008, on trouvait en CP et CE1 dix heures hebdomadaires pour le français, cinq heures pour les mathématiques, etc. Ces horaires en eux-mêmes sont relativement stables au fil du temps. Ce qui change, plus que le contenu même des programmes et plus encore que les indications de l’inspecteur, c’est ce que les enseignants ressentent de la demande sociale.

Compétences techniques

Quand tout le discours autour de l’école (médias, parents, ministère) est centré sur des compétences techniques, le temps consacré à ces activités (grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire…), par rapport au temps global de français, s’accroît et s’accroît dans des proportions considérables.

Si l’on ajoute à cela l’indigence de la formation continue des enseignants avec la disparition des stages longs en même temps que celle des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) [remplacés en 2013 par les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation sondées], la disparition à peu près au même moment des « brigades formation continue » (personnels qui remplaçaient les enseignants en formation continue) et qu’on veut bien considérer que le pouvoir de persuasion de l’inspecteur qui venait une fois tous les trois ou quatre ans est finalement assez mince, le constat n’est guère étonnant.

On pourrait ajouter à cela la misère sociale et le fait que seuls 10 % des publics en difficulté sont concernés par l’éducation prioritaire (il y a aussi de la misère dans les campagnes).

Il me semble qu’une attention particulière portée au temps réel de lecture dans chaque classe ne serait peut-être pas une piste à négliger.