Pourquoi la première trilogie de « Star Wars » ne ressemble plus à ce qu’elle était à sa sortie
Durée : 05:15

L’avis du « Monde » – à voir

Donc, pour ceux qui dorment au fond de la classe depuis quarante ans (tout de même !), rappelons que nous en sommes à l’épisode VIII de la saga Star Wars, inaugurée en 1977 par George Lucas, plus précisément au deuxième volet d’une troisième trilogie mise en chantier en 2012, lors du rachat des droits de la franchise par la compagnie Disney. Son premier épisode, mis en scène par J. J. Abrams sous l’intitulé Le Réveil de la Force, est sorti en 2015, avec un succès jamais égalé dans l’histoire de la série (plus de 2 milliards de dollars de recettes).

Il s’y agissait peu ou prou de reconstituer, face à la République triomphante (ordre du bien), l’Empire défait (ordre du mal) sur une autre planète et sous le nom de Premier Ordre. Empire à présent dirigé par le malfaisant Snoke, assisté du jeune Kylo Ren, qui n’est autre que le fils, basculé du mauvais côté de la Force, du sympathique Han Solo et de la légendaire princesse Leia. Tout ceci en l’absence de Luke Skywalker, frère de Leia et dernier chevalier jedi vivant, reclus sur une île lointaine, et pour cette raison activement recherché par tous les camps, et en présence de Rey, premier personnage féminin de la saga susceptible de faire « force » égale avec les hommes.

Nous en sommes donc là quand s’allume l’écran de ces Derniers Jedi, que signe Rian Johnson, avec son mythique incipit de lettres jaunes déroulées sur un plan oblique, se perdant dans la nuit étoilée du cosmos sur la musique orchestrale désormais hymnique de John Williams. L’intrigue avance feuilletée, sur trois plans simultanés. Rey (Daisy Ridley), nouvelle aspirante aux vertus de la Force, tente de convaincre Luke Skywalker (Mark Hamill), retiré sur une île où il compte bien mettre un terme à une dynastie qui produit aussi régulièrement des monstres, de parfaire sa formation. Snoke (Andy Serkis) et Kylo Ren (Adam Driver), à la tête de l’armada du Premier Ordre, traquent dans l’espace la flotte bientôt réduite à néant de la princesse Leia, défendue en désespoir de cause et à force de coups d’éclat par l’intrépide capitaine Poe Dameron ­(Oskar Isaac). Finn et Rose, enfin, missionnés par ce dernier, vont recruter sur une planète casino un crackeur de codes qui pourrait désamorcer le système permettant à la flotte ennemie de les suivre à la trace.

Ces trois lignes narratives aboutiront, comme de juste, à une apothéose guerrière permettant tout à la fois de clore l’épisode et de ménager la relance du suivant, où l’on sent bien que les deux jeunes espoirs antagonistes de la Force qui se sont ici toisés (Rey versus Kylo Ren) seront appelés à en découdre. Nonobstant la durée exceptionnellement longue de la saga, l’inflation des personnages, la multiplication des séditions, la prolifération des vocables, l’imbroglio spatio-temporel des épisodes, les palinodies des diverses refontes et mises à niveau, et, ­depuis peu, la création d’un « univers étendu » donnant lieu à des films échappant à la série – autant de chapitres sur lesquels veille une intransigeante armée de fans –, l’honnête homme devra, et pourra donc, garder son sang-froid face à cet énième épisode en date.

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Rien n’y est en effet fondamentalement changé à la philosophie inaugurale de cette vieille fantaisie. De valeureux chevaliers jedi y combattent toujours de sombres seigneurs dans une galaxie suffisamment « lointaine » traversée par « la Force », quelques notables et réguliers transfuges d’un camp à l’autre assurant la couverture tragique de l’opération. Un nouvel enjeu, toutefois, y apparaît bel et bien, qui consiste à clore le chapitre de la saga Skywalker, et aussi bien des acteurs qui les incarnent, pour la faire mieux renaître sous d’autres formes avec de nouvelles générations.

Liquidation des anciens

J. J. Abrams avait commencé le travail en donnant le jour à de jeunes et nouveaux personnages (Rey, Kylo Ren, Finn, Poe Dameron…), en évinçant un premier ­pilier historique (Han Solo/Harrison Ford, occis par son fils), en s’évertuant à une représentation plus à l’ordre du jour (présence positive des minorités noire, asiatique et féminine), en tentant, enfin, de renouer avec l’esprit d’enfance de la trilogie originelle. Rian Johnson poursuit sur cette lancée, secondé au plan de la liquidation des anciens par la cruelle réalité, qui a vu s’éteindre l’actrice Carrie Fisher (partant la princesse Leia) durant le tournage du film.

Après celui d’Abrams, le choix de ce metteur en scène, signataire de quelques films remarquables (Brick, en 2005, Looper, en 2012), ainsi que celui de son producteur Ram Bergman, traduisent une volonté de renouvellement cinéphilique de la saga. Cette inflexion est également soulignée au casting par la présence d’acteurs tels qu’Oscar Isaac (Steven Soderbergh, Joel et Ethan Coen, J. C. Chandor), Adam Driver (Noah Baumbach, Jim Jarmusch, Steven Soderbergh) ou Laura Dern ­(David Lynch, Alexander Payne, Kelly Reichardt).

On saura gré à Rian Johnson de quelques belles idées formelles ainsi que de la mise en abyme de la probléma­tique de l’ancien et du nouveau

Par-delà cet affichage, la question cruciale reste toutefois, a fortiori dans le cadre hypernormé d’une franchise, celle de la part tout à la fois de liberté et de génie nécessaires au renouvellement d’une saga dont aucune relance n’a su, jusqu’à présent, égaler la magie, la foi naissante, de la trilogie originelle. La réponse qu’apporte à cette question le duo Johnson-Bergman – lesquels seront d’ailleurs chargés de la mise en œuvre de la prochaine trilogie –, si elle n’est pas indigne, n’est pas des plus enthousiasmantes non plus.

On saura ainsi gré à Rian Johnson de quelques belles idées formelles (le mode d’apparition et de disparition des vaisseaux à la vitesse de la lumière, la très belle dérive du corps de Carrie Fisher dans l’espace, la salle du trône noire et rouge, épurée et cubo-futuriste de Snoke…), ainsi que de la mise en abyme de la probléma­tique de l’ancien et du nouveau qui structure son film, désignant d’un même mouvement la question qui se pose aux personnages et au cinéaste. Tout l’épisode VIII est à ce titre le fidèle reflet, transposé à la génération suivante, de l’épisode IV de la saga, opus originel dans la chronologie de sa réalisation. Il n’est pas assuré que cette manière, fût-elle talentueuse, de faire du neuf avec du vieux soit un pari sur l’avenir.

Star Wars : Les Derniers Jedi - Nouvelle bande-annonce (VOST)
Durée : 02:33

Film américain de Rian Johnson. Avec Carrie Fisher, Daisy Ridley, Mark Hamill, Adam Driver, Oscar Isaac (2 h 32). Sur le Web : www.starwars.com, www.starwars.com/the-last-jedi et fr-fr.facebook.com/StarWars