C’est l’un des défis majeurs de la transition numérique qui redessine chaque jour les contours de la société. Comment embarquer dans ce vaste changement toutes les populations sans en laisser sur le bord du chemin ? Selon une étude de l’Agence du numérique, 13 millions de personnes en France utilisent peu ou pas Internet et se sentent en difficulté face au développement des usages numériques. Jusqu’à présent, l’Etat peinait à définir une politique dans ce domaine.

Or de nombreux services publics ont déjà basculé dans le tout numérique. Guichets virtuels, permanences en ligne, bornes interactives… Il faut par exemple désormais passer par Internet pour toucher la prime d’activité de la Caisse nationale des allocations familiales ou s’inscrire au Pôle emploi. Dans certains départements, comme le Val-d’Oise, il devient difficile d’acheter un billet de train grandes lignes sans passer par le site Internet de la SNCF.

La fracture est tout à la fois générationnelle, territoriale et sociale. Selon une enquête publiée en septembre 2017 (Presses de l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Enssib) par Emmaüs Connect, une association d’accompagnement des publics en précarité sociale et numérique, les difficultés d’accès au numérique entraînent une dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux, « ce qui va à l’encontre de la mission première du travailleur social, qui est de permettre aux usagers de s’autonomiser dans leurs démarches et leurs parcours socioprofessionnels ».

« Enjeu social et économique »

C’est dans ce contexte que le gouvernement a lancé mardi 12 décembre sa stratégie nationale d’inclusion numérique, un sujet inscrit au programme du candidat Macron à la présidence de la République.

« C’est un enjeu social, mais c’est aussi, et beaucoup, un enjeu économique. Il n’y a pas de transformation de l’Etat s’il n’y a pas d’inclusion numérique. Il n’y a pas de transformation économique s’il n’y a pas d’inclusion numérique. (…) C’est une nécessité », a souligné le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, en déplacement à Bordeaux, où il visitait les locaux d’Emmaüs Connect.

Suivant une méthode devenue habituelle pour le gouvernement, le plan s’appuiera sur une concertation nationale. Des groupes de travail vont réunir les nombreux acteurs impliqués dans la médiation numérique : centres sociaux, associations, acteurs de l’économie sociale et solidaire, mais aussi collectivités territoriales et services publics tels que bureaux de Poste ou agences du Pôle emploi… Ils seront chargés d’ici à mars 2018 d’évaluer l’existant et de coordonner les initiatives.

Ces structures travaillent aujourd’hui souvent de façon isolée, sans réelle coordination. Une cinquantaine d’acteurs (dont le réseau de la Ligue de l’enseignement, des Espaces publics numériques, l’association Simplon…) se sont regroupés en juillet au sein de la coopérative MedNum pour mutualiser leurs ressources. Le gouvernement veut aller plus loin afin d’organiser les réponses les plus adaptées aux besoins des différents publics : personnes âgées, jeunes en situation précaire, migrants… Au deuxième trimestre, les acteurs locaux devront « construire ensemble la solution la plus pertinente » pour leurs territoires, à l’échelle des départements.

Un investissement d’un milliard d’euros

Pour Michel Briand, l’un des auteurs d’un rapport sur l’inclusion numérique publié en 2013 par le Conseil national du numérique, « la démarche est positive. Il était anormal que le déploiement du haut débit fasse l’objet d’un plan gouvernemental, et que la médiation numérique soit laissée au bon vouloir des collectivités. Encore faut-il que le dispositif anticipe les évolutions numériques à venir, y compris la robotisation et l’intelligence artificielle qui vont impacter durablement l’emploi dans les années qui viennent ».

Reste la question du financement. Jusqu’à présent, il dépendait de la volonté des collectivités qui, pour certaines, en faisaient une priorité quand d’autres ne s’y intéressaient que de loin. Une étude d’Emmaüs Connect et Capgemini Consulting évalue à un peu plus d’un milliard d’euros l’investissement nécessaire sur quatre ans. Elle estime que 27 000 formateurs devront être recrutés, contre 10 000 professionnels, dans le secteur public et privé, aujourd’hui. Elle montre aussi que « l’inclusion numérique est un investissement rentable car les gains deviennent significatifs à moyen terme » , assure le fondateur et directeur d’Emmaüs Connect, Jean Deydier.

Les économies issues de la dématérialisation des services publics seront-elles réinvesties dans la médiation numérique ? L’Etat s’engagera-t-il et jusqu’où ? Sur ce sujet, là aussi, un groupe de travail est chargé de dresser un état des lieux et d’identifier de nouvelles ressources. Il devrait rendre ses réponses au printemps 2018.