La plate-forme de locations saisonnières Airbnb est dans le collimateur des grandes villes, Paris en tête, depuis des années. / JOHN MACDOUGALL / AFP

L’application Airbnb s’est imposée en un temps record comme un acteur incontournable du tourisme dans les villes françaises. En plus de s’attirer les foudres des hôteliers, qui dénoncent une concurrence déloyale, le géant américain de la location saisonnière s’est rapidement retrouvé dans le collimateur des grandes municipalités, qui l’accusent de s’affranchir des lois et de vider les centres de leurs habitants au profit des touristes.

Premier adversaire d’Airbnb en France, la Ville de Paris mène depuis plusieurs années un bras de fer acharné avec la plate-forme. Elle a mis en demeure, lundi 11 décembre, Airbnb et ses concurrents, accusés de ne pas respecter de nouvelles mesures anti-fraude. Dernière d’une longue série d’actions entreprises par les autorités françaises pour réduire la marge de manœuvre de la multinationale américaine.

Quel est le problème ?

Le principal problème posé par Airbnb est le brouillage qu’il introduit entre les loueurs particuliers et professionnels. Le site, initialement présenté comme une façon d’arrondir ses fins de mois, permet en fait à n’importe qui de s’improviser loueur régulier, sans forcément se conformer à toutes les obligations légales, réglementaires et fiscales auxquelles sont soumis les véritables professionnels.

La location de logements entre particuliers n’étant pas née avec Airbnb, des règles relativement claires existaient dans le droit français bien avant sa création. La loi distingue deux situations bien distinctes :

  • La location occasionnelle : elle n’est possible que pour les résidences principales, dans la limite de 120 jours (quatre mois) par an.

  • La location régulière : elle concerne les résidences secondaires et les résidences principales louées plus de 120 jours par an. Considérée comme une activité commerciale, la location régulière nécessite que le loueur réclame en mairie l’autorisation de convertir son logement en « meublé touristique ». A défaut, il est passible de 25 000 euros d’amende.

Décourager les locations régulières

Le problème

Confrontées à une recrudescence des locations de courte durée, et parfois à une pénurie de logements pérennes dans les quartiers les plus touristiques, certaines villes voulaient pouvoir dissuader certains loueurs de transformer leur habitation en Airbnb loué toute l’année.

Ce qui a changé

  • Des critères draconiens pour les meublés touristiques

La loi ALUR de 2014 a sérieusement durci les conditions réclamées aux loueurs pour obtenir l’autorisation de location régulière en meublé touristique. Dans les grandes villes (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Nice, Nantes, Strasbourg, Montpellier, Bordeaux, Lille et Rennes) et les communes de certains départements de la région parisienne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), cette autorisation n’est plus délivrée automatiquement.

Ces villes ont désormais la possibilité de fixer des conditions très strictes pour délivrer aux loueurs ce précieux sésame (et décourager du même coup les locations régulières). A Paris, par exemple, ils doivent obligatoirement fournir à la mairie une « compensation » :

  • en achetant dans le même secteur un local destiné à un autre usage (bureaux, commerces) pour le transformer en habitation ;

  • en achetant des « droits de commercialité », c’est-à-dire des titres de compensation qui attestent qu’un local détenu par un tiers a été transformé en habitation.

Depuis la loi ALUR, les plus petites villes (de moins de 200 000 habitants) peuvent décider elles aussi d’instaurer des critères pour contrôler les locations en meublé touristique.

  • Vers une baisse du plafond de 120 nuitées ?

L’équipe municipale de Paris cherche à faire évoluer le plafond qui permet aux particuliers de louer jusqu’à 120 nuitées par an sans que cela soit considéré comme une activité commerciale. Elle aimerait l’abaisser à 90, voire à 60 nuitées dans la capitale. Cette évolution nécessite toutefois l’aval du gouvernement, qui ne l’a pas encore donné.

Lutter contre la fraude

Le problème

Jusqu’à 2017, les villes avaient le plus grand mal à détecter les fraudes, faute de pouvoir repérer efficacement les particuliers qui dépassaient le plafond de 120 jours par an sans s’être enregistrés en mairie comme meublés touristiques.

Ce qui a changé

  • Un enregistrement obligatoire dans certaines villes

Depuis le « décret Airbnb » du 30 avril 2017 (qui découle de la loi numérique de 2016), les villes disposent d’une arme redoutable : elles peuvent obliger tous les loueurs à s’enregistrer en mairie dès la première nuitée de location, et les contraindre à faire figurer leur numéro d’immatriculation sur leurs annonces. Ce qui doit les aider à repérer beaucoup plus facilement qui dépasse leur seuil des 120 nuitées.

En attendant Bordeaux et Nice, Paris est la première ville à s’être saisie de cette nouvelle possibilité, en la rendant obligatoire à compter du 1er décembre 2017. Problème : après cette date, la majorité des loueurs parisiens n’affichaient toujours pas leur numéro d’immatriculation sur leurs annonces.

Le gouvernement n’ayant pas encore publié le décret détaillant les sanctions contre les contrevenants, les plates-formes n’ont pour l’instant guère d’incitations à se conformer à cette nouvelle règle.

C’est la raison pour laquelle, le 11 décembre, la Ville de Paris a mis en demeure Airbnb et quatre de ses concurrents (Homeaway, Paris Attitude, Sejourning et Windu) de retirer toutes les annonces sans numéro d’enregistrement, sous peine de les traîner en justice afin d’obtenir du juge des sanctions financières.

  • Une limitation automatique des nuitées par Airbnb

Sous la pression des autorités, Airbnb a aussi accepté de commencer à prendre sa part de responsabilité dans le contrôle du respect de la loi. A compter de janvier 2018, Airbnb va instaurer dans sa plate-forme une limite automatique de 120 nuitées par an pour ses clients loueurs… mais seulement dans les quatre arrondissements du centre parisien, où elle a constaté des « excès ».

Collecter la taxe de séjour

Le problème

Pendant longtemps, les plates-formes comme Airbnb ont représenté un manque à gagner important comme les communes. Contrairement aux hôteliers, les hôtes louant leur logement collectaient rarement la taxe d’habitation auprès des touristes pour la reverser aux communes.

Ce qui a changé

Pressée par la Ville de Paris, Airbnb a accepté en octobre 2015 de prendre en charge elle-même la collecte de cette taxe auprès des touristes qui louent un hébergement par son truchement. Depuis, le site a élargi cette collecte automatique à une cinquantaine de villes. Une pratique qui relève pour l’instant de sa bonne volonté, mais qui va être rendue obligatoire pour toutes les plates-formes à compter de 2019.

Lutter contre la fraude fiscale

Le problème

Théoriquement, tout revenu provenant de la location à courte durée doit être déclaré au fisc. Certains particuliers omettent toutefois plus ou moins volontairement de faire figurer le pécule Airbnb sur leur déclaration fiscale… et la plate-forme est régulièrement accusée de faciliter cette fraude fiscale, ou au moins de ne pas lutter suffisamment contre.

Dernier exemple en date : France Info a révélé début décembre que la carte de crédit rechargeable que propose la plate-forme à ses clients, émise depuis Gibraltar, se trouvait être un moyen très facile d’échapper aux radars du fisc français.

Ce qui a changé

Sermonné par Bercy après la publication de l’enquête de France Info, Airbnb s’est engagé le 11 décembre à renoncer à cette carte de crédit rechargeable.

Depuis février 2017, les plates-formes d’hébergement ont par ailleurs l’obligation d’aider leurs clients à déclarer leurs revenus locatifs, en leur transmettant chaque année une fiche récapitulative.

Mais le plus grand changement interviendra en janvier 2019, date à laquelle elles devront communiquer directement au fisc français les revenus perçus par leurs clients, afin de faciliter les contrôles.