Le taux de salbutamol dans les urines de Christopher Froome était, lors de la 18e étape du Tour d’Espagne 2017, de 2 000 nanogrammes par millilitre, soit deux fois le niveau autorisé. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Le professeur Xavier Bigard, conseiller scientifique de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), détaille au Monde les modalités de prise du salbutamol dans le cadre des règlements antidopage et son intérêt pour les sportifs.

Cet entretien a été réalisé mardi 12 décembre, la veille de l’annonce du contrôle anormal de Christopher Froome pour un taux de salbutamol deux fois plus élevé que la norme autorisée.

Le salbutamol est autorisé par inhalation, sous un certain seuil, mais interdit par voie orale ou par injection. Comment expliquer cette réglementation ?

Le salbutamol fait partie d’une famille de molécules dont on sait qu’elles vont agir sur des récepteurs musculaires et augmenter la masse musculaire. Elles ont en parallèle la propriété de dilater les bronches. Mais elles ne vont agir sur ces récepteurs musculaires que lorsqu’elles sont administrées par voie systémique, c’est-à-dire par injection intramusculaire, intraveineuse ou voie orale.

Par inhalation, les molécules restent dans les bronches. La quantité qui pénètre alors dans l’organisme est vraiment très, très faible. Il n’y a donc pas d’effet sur la masse musculaire. C’est la raison pour laquelle ces molécules sont autorisées par inhalation.

L’Agence mondiale antidopage autorise 1 600 microgrammes de salbutamol inhalé par vingt-quatre heures, et 800 microgrammes par douze heures. Comment ces seuils ont-ils été fixés ?

C’est le fruit de résultats expérimentaux. Il y a eu beaucoup d’expérimentations, au cours desquelles ont été vérifiés les effets de ces bronchodilatateurs sur les performances (sportives).

Ces substances sont contenues dans des médicaments, qui ont une indication thérapeutique. Le salbutamol est le plus répandu : pour la crise d’asthme, il faut utiliser tant de bouffées à tel moment, et pas plus dans la journée. Une concentration maximale a été fixée, qui correspond au traitement de la crise d’asthme.

On a vérifié que ce protocole thérapeutique n’avait pas d’effet sur les performances, puis on a considéré que les doses proposées dans ce protocole thérapeutique étaient les doses maximales pour un sportif en compétition. Cela correspond aux doses préconisées pour le traitement d’une crise d’asthme.

Autoriser ces substances, certes avec des seuils, ne pose-t-il pas d’éventuels problèmes de détournement de leur usage ?

Non. Si c’est utilisé dans la concentration pour laquelle on sait qu’il n’y a pas d’effets sur les performances, pourquoi légiférer ?

Mais ne pourrait-on pas simplement interdire l’utilisation de ces substances en compétition ?

Vous avez une prévalence extrêmement importante de sportifs qui présentent de l’asthme d’effort. C’est une réalité en pneumologie. Un article paru dans The New England Journal of Medecine, journal de très haute qualité, a fait le point sur la question. Il souligne la forte proportion de sportifs qui présentent un véritable asthme d’effort, vérifié avec des explorations fonctionnelles pulmonaires adéquates.

Comment l’expliquer ? Le sport de haut niveau, en sollicitant énormément les capacités respiratoires des athlètes, favorise-t-il l’asthme ?

Oui, le sport est asthmogène. Et en particulier trois disciplines : le ski nordique, en raison de l’air sec et froid ; la natation, compte tenu d’un certain nombre de composants dans les eaux de piscine ; et le triathlon. Ces trois disciplines sont vraiment à risque et présentent une prévalence très importante d’asthme d’effort. On ne peut pas laisser ces sportifs sans traitement.

Faut-il être plus vigilant sur l’utilisation des bronchodilatateurs ?

Nous nous demandons, devant l’utilisation extrêmement fréquente des inhalateurs avant les compétitions, si en associant plusieurs produits par inhalation, notamment les trois qui sont autorisés – le formotérol, le salbutamol et le salmétérol –, il ne pourrait pas y avoir des effets sur les performances. Nous savons qu’un bronchodilatateur autorisé par inhalation n’a pas d’effet sur la performance. Par contre, avec l’association des trois, on peut commencer à se poser des questions.

Il y a des expérimentations qui sont actuellement en cours, au moins dans un laboratoire en Europe, et pour devancer ces résultats expérimentaux, nous avons inscrit dans le programme de surveillance pour 2018 la coadministration de trois bronchodilatateurs autorisés. En clair, on va rechercher dans les urines de tous les sportifs que l’on va contrôler, la présence des métabolites spécifiques des trois bronchodilatateurs autorisés.

S’il y a un mésusage important, que la majorité des sportifs utilisent les trois bronchodilatateurs par inhalation, d’un point de vue éthique et pour l’esprit du sport, cela ne peut pas être acceptable.

Certains sportifs utiliseraient donc différents bronchodilatateurs en allant à la limite autorisée de chacun d’entre eux ?

On le sent bien. A un moment donné, on autorise une molécule avec une concentration maximale, et une autre avec une autre concentration maximale. Certains sportifs vont se dire : « Je vais utiliser les deux à leur concentration maximale », pour essayer de multiplier les effets. C’est une tendance naturelle.