Chris Froome célèbre sa victoire sur le Tour d’Espagne, le 10 septembre à Madrid. / Francisco Seco / AP

Le Britannique Chris Froome, quatre fois vainqueur du Tour de France, est confronté à une affaire de dopage à cause d’un « contrôle anormal » dû à une concentration trop forte de salbutamol, un produit contre l’asthme, lors de sa victoire dans la Vuelta en septembre. Notre journaliste Clément Guillou, qui a mené l’enquête avec le quotidien britannique The Guardian, a répondu à vos questions.

Rafa P. : Pourquoi cette affaire ne sort qu’aujourd’hui, plusieurs mois après le contrôle réalisé lors du tour d’Espagne ?

Cette affaire sort aujourd’hui car Le Monde et le Guardian en ont été informés. Nous avons pu confirmer le résultat anormal du contrôle mardi après-midi, avec le président de l’UCI [Union cycliste internationale], David Lappartient.

L’UCI et l’équipe Sky, contactées pour donner leurs réactions, ont alors décidé de communiquer publiquement dans la foulée de nos révélations. Ni l’une ni l’autre n’avaient prévu de rendre public ce contrôle anormal. C’est d’ailleurs tout à fait leur droit compte tenu de la substance en question, une substance dite « spécifiée » dont l’utilisation est encadrée plutôt qu’interdite.

Par ailleurs, l’instruction prend du temps, car Christopher Froome essaye de prouver, avec ses avocats et un soutien scientifique, qu’il a agi en toute bonne foi.

Fano : Connaît-on la dose exacte de salbutamol absorbée par Froome ? A partir de ce taux, peut-on en déduire un possible protocole de dopage ?

Nous ne connaissons pas la dose de salbutamol absorbée par Christopher Froome, et c’est tout l’enjeu : Froome va devoir prouver qu’il est resté dans les limites des doses thérapeutiques fixées par l’Agence mondiale antidopage (soit 1 600 microgrammes par vingt-quatre heures), bien que la concentration dans ses urines dépasse finalement le niveau attendu.

Il va aussi devoir prouver que le salbutamol a été inhalé et non pris d’une autre manière (intraveineuse, comprimés, suppositoire…) : dans ce cas, le salbutamol est parfaitement interdit et ses propriétés dopantes ne font aucun doute. Dans le cas de l’inhalation, c’est plus incertain, même à des doses élevées.

Nairolf : Le terme de « contrôle positif » est-il adapté à la situation actuelle ou bien faudrait-il uniquement parler de « contrôle anormal » ?

Techniquement, les standards de l’Agence mondiale antidopage disposent qu’un contrôle est « positif » lorsque la procédure contradictoire et scientifique est arrivée à son terme. Pour l’instant, Froome a simplement rendu un « résultat d’analyse anormal ». Dire que Froome a été « contrôlé positif » est donc un abus de langage à ce stade de la procédure (et on ne tient pas tant que ça à connaître les avocats de la Team Sky).

Rafa P. : Froome risque-t-il vraiment une suspension pour la saison 2018 ?

Il est difficile de présager de la sanction à laquelle va être condamné Christopher Froome. Celle-ci peut aller d’une simple réprimande à une suspension de deux ans. La seule chose certaine, car les textes sont clairs là-dessus, est qu’il perdra sa victoire sur le Tour d’Espagne 2017.

On a vu il y a de nombreuses années des sportifs sortir indemnes d’un contrôle positif au salbutamol. Mais la référence comparable la plus récente est celle du cycliste italien Diego Ulissi, qui avait été condamné à neuf mois de suspension en 2015 pour des valeurs similaires (1 900 ng/ml).

Dans tous les cas, une éventuelle suspension commencera à la date de la décision. Soit celle de l’UCI, soit celle du tribunal arbitral du sport si Froome ou l’Agence mondiale antidopage décident de faire appel de la décision de l’UCI. Sa participation au Giro semble compromise car le départ est maintenant dans moins de cinq mois.

Rominger : Concrètement, quels sont les avantages de cette substance ?

Cette substance aide les personnes souffrant d’asthme à retrouver leurs capacités respiratoires normales. Prise en inhalation, elle offre un secours de courte durée, raison pour laquelle certains la prennent à répétition au cours de la journée. Chris Froome ne cache pas prendre un coup de Ventoline avant de produire un effort violent – ou pour calmer un début de crise d’asthme.

Youssef : Bonjour, la Sky se défend en invoquant le nombre de facteurs pouvant influencer la concentration dans les urines de la substance incriminée. Cet argument est-il recevable dans la mesure où Froome a été contrôlé au double de la limite légale ?

Il est vrai que des facteurs, par exemple la déshydratation du sportif, peuvent influencer l’excrétion du salbutamol, c’est-à-dire sa durée de vie dans l’organisme. L’écart avec le seuil fixé par l’Agence mondiale antidopage est toutefois très important, en effet. Christopher Froome insiste sur le fait qu’il a, comme à chaque fois, respecté les limites autorisées.

Florian : Bonjour, Combien de temps la Team Sky a-t-elle pour prouver – si elle le peut – que Chris Froome s’est bien comporté ?

A notre connaissance, il n’y a pas de limite fixée, par le règlement UCI ou antidopage, à la durée de ces expertises scientifiques. Mais la révélation de ce cas devrait inciter l’UCI, la Team Sky et Christopher Froome à ne pas faire traîner éternellement la procédure. D’autant plus que plus tôt Froome sera fixé sur son cas, plus tôt il pourra de nouveau courir. Le Britannique s’était gardé jusqu’à présent de dire à quel moment il commencerait sa saison 2018. Une source proche de l’UCI nous confiait hier que « forcément, ces choses devraient prendre plus de temps que d’habitude ». « Les experts engagés par les uns ou les autres ne sont pas des “pinpins” », ajoutait cette source.

Concernant l’équipe Sky, elle a eu tendance par le passé à exploiter la « zone grise » du dopage, c’est-à-dire à jouer avec les règlements, notamment en obtenant des AUT pour prendre des corticoïdes. La pression sur l’équipe était déjà forte en Grande-Bretagne lors de la polémique sur les AUT attribuées à Bradley Wiggins et Chris Froome. Elle serait renforcée par une future suspension de Froome. Sa survie serait alors clairement en question.

Docteur Fuentes : Pour quelle autre raison le médecin de l’équipe Sky aurait-il recommandé à Froome d’augmenter la dose de salbutamol ?

Selon Team Sky, Chris Froome a ressenti des symptômes d’asthme plus importants durant la troisième semaine de la Vuelta et a augmenté ses doses pour y faire face.

Peut-être cet asthme était-il à l’origine de la seule défaillance connue par Christopher Froome sur ce Tour d’Espagne, la veille (6 septembre), dans l’arrivée au sommet à Los Machucos ? Le lendemain, le Britannique allait beaucoup mieux.

Arnaud : Est-ce que Froome ne passera pas entre les gouttes en raison de son AUT, malgré le fait qu’il a un taux plus haut que la normale ?

Pour être clair, il n’y a plus, depuis 2010, besoin d’AUT pour prendre du salbutamol. Il faut en revanche rester en dessous du niveau décidé par l’Agence mondiale antidopage, qui correspond à une prise thérapeutique. C’est très clair : en dessous, vous êtes dans le vert ; au-dessus, vous êtes dans le rouge.

Dominique Clère : David Lappartient est devenu président de l’UCI en septembre 2017. Peut-on voir dans ces révélations un changement de politique de l’UCI. La fédération aurait-elle « lâché » Froome et la Sky ?

Selon nos informations, David Lappartient a été tenu au courant de ce contrôle anormal l’après-midi même de son élection à la présidence de l’UCI, le 21 septembre. Chris Froome, lui, en avait été informé la veille au matin, comme l’UCI sans doute, au dernier jour de la mandature du Britannique Brian Cookson.

En dépit des soupçons de collusion entre Brian Cookson et l’équipe Sky, liés principalement à sa nationalité et à son passé de directeur de British Cycling dont Team Sky est l’émanation, aucun fait n’a jusqu’ici attesté d’un traitement préférentiel à l’égard de Sky.