Le ministre de l’éducation nationale était, mardi 12 décembre, l’invité du Club de l’économie du Monde.

Qu’est-ce qui fonctionne et ne fonctionne pas aujourd’hui à l’Education nationale ?

D’abord nous sommes un grand service public. Il est souvent étrillé, mais ses procédures, ses habitudes, ses éléments de fonctionnement créent un système éducatif français solide. On le voit à chaque rentrée scolaire.

Nous avons ensuite des régions, comme la Bretagne, ou des établissements qui ont trouvé des formules qui marchent, avec des équipes stables et motivées.

La situation est donc extrêmement hétérogène, ce qui est paradoxal, puisque la France revendique l’égalité et une certaine uniformité. Je veux renverser ce paradoxe et créer plus d’autonomie des acteurs, plus de liberté, plus de pouvoir d’initiative. Parce que cette liberté pour le million d’acteurs de l’Education nationale doit s’accompagner aussi d’une attention aux plus fragiles.

Ce qui ne va pas, c’est la consolidation des savoirs fondamentaux chez les élèves issus des milieux les plus défavorisés. Une sorte de fragilité éducative s’est additionnée à une fragilité sociale. Face à cette situation, j’avance à partir de trois critères qui sont la science – en pleine révolution dans le domaine cognitif –, l’expérience et les comparaisons internationales. Ce serait complètement fou de ne pas s’inspirer de ce qui fonctionne à l’étranger.

La dernière enquête du Programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls) sur la maîtrise de la lecture par les écoliers français confirme une érosion entamée il y a trente ans. Comment redresser la barre ?

Cette enquête nous dit, en gros, que plus de 20 % des enfants ne comprennent pas un texte un peu long et complexe. J’ai annoncé, la semaine dernière, une dizaine de mesures préparées de longue date, dont celle de la dictée quotidienne qui a retenu l’esprit du public. Mais il y a aussi ce qui a trait à la fluidité du décodage. Dans le débat français, quand on prononce ce mot, il y a toujours quelqu’un pour vous dire que ce qui compte, c’est la compréhension, comme si les deux choses devaient être opposées. Mais sapristi, le premier point est au service du deuxième ! Il est démontré scientifiquement que la fluidité de lecture, elle-même liée au décodage, est à la base de la compréhension. Il faut donc en tirer les conséquences pédagogiques. Il y a, par exemple, des manuels scolaires qui ont pleinement tiré l’enseignement de cela et d’autres qui ne l’ont pas fait.

Bien sûr, je plaide pour une culture générale approfondie. Mais si les problèmes ne sont pas bien posés, leur résolution ne peut pas venir. Et ceux que l’on pénalise, ce sont les élèves des familles les plus défavorisées. C’est pour cela que la première mesure que nous avons prise est le dédoublement dans les réseaux d’éducation prioritaire des classes de cours préparatoire et, l’année prochaine, de CE1.

Avez-vous déjà de premiers résultats ?

La première évaluation sera faite au mois de juin, mais les échos sont très bons. Nous avons d’emblée des enfants qui sont, en décembre, au niveau de février ou de mars, ce qui est extrêmement important en cours préparatoire, quand vous installez avant les vacances de Noël cette entrée fluide dans la lecture.

Vous parlez beaucoup de liberté et d’autonomie, mais sur ces sujets, vous semblez plus autoritaire que sur les rythmes scolaires…

Sur un sujet comme l’éducation, il faut distinguer ce qui relève du service public, de la dimension nationale et de la liberté de chaque acteur. Une sorte de principe de subsidiarité. Sur les deux sujets du français et des mathématiques dans les toutes premières années de l’école primaire, on doit être un peu directif, pour que les enfants ne passent pas à côté de ce qui est bon pour eux.

En ce qui concerne les rythmes scolaires, aucune étude ne montre la supériorité de la semaine de 4 jours sur celles de 4,5 jours. Je prône des solutions pragmatiques adaptées au terrain. La Ville de Paris n’est pas du tout dans la même situation qu’un village de montagne. La situation que j’ai trouvée était d’une inégalité incroyable et sans aucune homogénéité. La philosophie de cette mesure est celle de la liberté-responsabilité, qui consiste à dire aux communautés éducatives locales : définissez pour vous-même ce qui vous paraît le plus juste. En quinze jours, 40 % des communes l’on fait. Il faut être d’un pragmatisme absolu, regarder ce qui se passe et compenser les difficultés concrètes. Nous préparons un plan « Mercredi » avec le ministère des sports et celui de la culture, pour élaborer des propositions concrètes aux familles dans toute la France.

Les enseignants sont-ils suffisamment nombreux et bien payés ?

Nous avons 850 000 professeurs en France pour 12 millions d’élèves. C’est tout à fait ce qu’il faut, si l’on compare avec les autres pays. Cela n’empêche pas de souhaiter des évolutions, notamment dépenser plus dans l’école primaire où la France est en retard. L’essentiel de la hausse du budget 2018 portera sur le primaire. En ce qui concerne la rémunération, ce sont de nouveau les professeurs du primaire qui sont moins bien payés en France par rapport à d’autres pays. Il est donc certain que dans une perspective pluriannuelle, nous devrons faire un effort.

Et sur l’enseignement professionnel ?

C’est ma deuxième priorité après l’école primaire. Je mets cela au-dessus du baccalauréat et d’autres sujets. Le lycée professionnel peut correspondre à un très grand avenir pour la France, de même pour l’apprentissage.

Vous avez déclenché une mini-polémique sur les portables à l’école. Peut-on vraiment les interdire ?

Beaucoup de professeurs de l’école primaire témoignent du fait que les enfants se concentrent plus difficilement, et que les conséquences de l’addiction aux écrans peuvent être très graves. Nous les déconseillons donc aux enfants de moins de 7 ans. Dire cela n’est pas anti-technologie, au contraire. On peut ainsi développer l’usage des robots. En ce qui concerne les portables, vous observez, à partir de la classe de sixième, une baisse de l’activité physique et de la lecture. Dans certaines cours de récréation, plus personne ne joue au foot ou à chat, mais tous les enfants sont sur leurs smartphones. Si c’est la société dont on a envie, il faut le dire, mais ce n’est pas mon projet de société.

Vous êtes sur le long terme. Combien de temps vous donnez-vous ?

Je ne suis pas un homme politique professionnel. Je ne vise rien d’autre que le ministère de l’éducation. L’état d’esprit dans lequel je m’installe est celui de la longue durée.

Propos recueillis par Gérard Courtois et Philippe Escande