Le cas de Christopher Froome, qui a fait l’objet d’un contrôle anormal pour excès de salbutamol, n’est pas désespéré au regard du code mondial antidopage. / LAURENT REBOURS / AP

Si l’Agence mondiale antidopage (AMA) « ne commente pas un cas en cours », son directeur exécutif et scientifique, Olivier Rabin, a accepté d’évoquer les spécificités du salbutamol, au lendemain de la révélation du Monde et du quotidien britannique The Guardian d’un contrôle anormal de Christopher Froome sur le dernier Tour d’Espagne.

Il souligne qu’il revient au sportif de prouver de quelle manière son taux de salbutamol a pu se hisser à de telles hauteurs (le double du seuil autorisé pour Froome), mais que des explications valables à cette anomalie peuvent exister.

Pourquoi est-il possible de contester un contrôle anormal, alors même que le seuil de salbutamol autorisé est largement dépassé ?

Olivier Rabin : Cette substance est utilisée très largement par beaucoup d’athlètes, mais les cas de contrôle anormal au salbutamol ne sont pas légion. Pour autant, on sait qu’il peut exister des métabolismes particuliers chez certains sportifs, qui les amènent à des concentrations de salbutamol naturellement hautes.

Un athlète – comme toute autre personne – a le droit à une procédure équitable. On n’est pas sur une preuve de dopage ou d’un dopage lourd, donc on peut se laisser le temps de la réflexion.

A ce stade, le code mondial antidopage est très clair : la charge de la preuve revient à l’athlète, plus à nous. L’athlète a eu un résultat d’analyse anormal, c’est un fait ; à lui de venir avec des explications s’il en a. Il peut mettre en avant des considérations environnementales, la déshydratation, un ensemble d’éléments…

A nous de voir ensuite si c’est cohérent. Notre rôle est de mettre en perspective les explications avancées par les experts, parfois de les démonter – pour ne pas dire souvent. Ce sont parfois des écrans de fumée.

Comment ces études pharmacocinétiques se déroulent-elles ?

Il faut les faire dans des conditions contrôlées : en présence de témoins qui permettent de s’assurer que l’athlète prend bien la quantité requise de salbutamol, qu’il n’a pas la possibilité d’ajouter une prise, et surtout de nous assurer que les échantillons sont bien prélevés dans des conditions incontestables et ensuite acheminés vers un laboratoire antidopage. Nos procédures sont strictes.

Le sportif nous dit : « Le jour où j’ai été contrôlé positif, voilà comment j’ai pris la substance incriminée, voilà combien j’en ai pris et à quel moment. » On fait un prélèvement urinaire sans prise de la substance, pour avoir le niveau de base de l’athlète, surtout quand ce sont des athlètes qui ont des traitements chroniques. Ensuite, l’athlète prend le salbutamol dans les mêmes conditions qu’il a décrites. Puis on prélève à des heures relativement précises.

Le laboratoire revient, dans un rapport, sur ces analyses qui nous permettent de voir exactement, pour la dose qui a été prise, à quel niveau urinaire de salbutamol on arrive. Il est relativement difficile de fausser ce genre d’analyse.

« On ne se base pas sur les hypothèses. On veut des faits »

Quelles peuvent être les explications d’un athlète habitué à prendre des produits pour lutter contre l’asthme, qui habituellement respecte le seuil de 1 000 nanogrammes par millilitre (ng/ml) et, un jour, passe à 2 000 ng/ml ?

Ce qui est intéressant, justement, c’est de voir quelles explications un athlète fournit. Est-ce qu’il y a eu des substances ou des conditions interférentes qui ont pu altérer le métabolisme du salbutamol ? C’est un point que l’on regarde. Est-ce qu’il y a eu un surdosage ? Ça arrive, même assez fréquemment.

A-t-on des connaissances précises sur les facteurs qui font évoluer l’excrétion (action par laquelle l’organisme évacue une substance) du salbutamol ?

Je me garderais bien d’envisager tous les cas pharmacologiques, toxicologiques ou physiologiques possibles où il peut y avoir des interférences avec l’excrétion rénale d’une substance ou avec son métabolisme. Il suffit que vous ayez pris une autre substance qui passe par le même cytochrome P-450 [molécule organique impliquée dans la biodégradation de molécules exogènes, dont le salbutamol] : ça peut avoir un effet sur le délai d’excrétion. Au niveau rénal, il peut aussi y avoir une substance qui interfère avec l’excrétion. Mais on ne se base pas sur les hypothèses. On veut des faits.

Comment expliquer les différences de sanctions dans les affaires de concentration de salbutamol trop élevée, qui vont de la simple réprimande à une suspension d’un an, comme pour Alessandro Petacchi en 2008 ?

« Les circonstances et le contexte sont plus éclairants que la concentration et le dépassement du seuil »

Dans l’affaire Petacchi, il y avait une dichotomie entre ce que l’athlète nous disait avoir pris et les resultats observés. Les deux n’étaient pas cohérents.

Il y a une différence entre un athlète qui va se retrouver avec du salbutamol alors qu’il n’a pas d’autorisation d’usage thérapeutique (AUT) et celui qui a été sous salbutamol pendant des années et se retrouve avec un dépassement de seuil, pour lequel une étude d’excrétion va montrer qu’il a un métabolisme un peu différent de la norme sur cette substance.

L’un prendra deux ans de suspension ferme parce qu’il n’aura pas eu d’AUT et se retrouve avec 3 000 ng/ml. Si un autre est juste au-dessus du seuil, prouve qu’il métabolise le salbutamol de façon différente mais a poussé un peu sur la « topette » dans des circonstances que l’on peut comprendre et dont il a parlé à son médecin, il prendra peut-être une réprimande ou trois mois de suspension.

L’ampleur du dépassement du seuil, important en ce qui concerne Christopher Froome, joue-t-elle sur la décision ?

Pas forcément. Les circonstances et le contexte sont plus éclairants que la concentration et le dépassement du seuil. Ils nous amènent plus de richesse d’information.

Concernant le salbutamol, n’aurait-il pas été plus simple d’avoir une limite stricte à 1 000 ng/ml ?

Non, car pour nous l’étude d’excrétion est un élément important. Nous travaillons avec des taux de certitude extrêmement élevés. Or, on peut se trouver dans une situation où la concentration est élevée mais où nous avons besoin d’en savoir plus sur la façon dont l’individu métabolise la substance, afin de distinguer une erreur et un dopage. La règle est logique et juste, dans le sens où nous ne voulons pas incriminer un athlète à tort.

Est-on capable de faire la différence entre une prise par voie générale, qui est strictement interdite, et une prise inhalée ?

Nous n’avons pas d’élément de certitude. En combinant certains indicateurs avec d’autres éléments d’information sur le résultat et l’environnement décrit par l’athlète, cela peut toutefois mener à un niveau de certitude relativement élevé.