LES CHOIX DE LA MATINALE

Ouvrir grand les yeux sur l’art préhistorique, les frères Grimm au pinceau d’Arthur Rackam, les dix numéros du grinçant « Journal des assassins » ou encore une histoire culturelle de la robe : nos critiques littéraires ont sélectionné les plus beaux livres à offrir pour les fêtes.

HISTOIRE. « L’Art de la préhistoire », sous la direction de Carole Fritz

L’Art de la préhistoire, ouvrage collectif conçu sous la direction de Carole Fritz, est appelé à devenir une référence. De Lascaux à Chauvet, les grottes européennes célèbres sont là, évidemment, mais aussi l’Afrique australe, la Chine, le Pérou, le Texas et l’Australie. Le corpus s’est immensément accru et s’est enrichi de splendeurs auxquelles la qualité des images et de leur impression rend justice, comme il est de tradition chez Citadelles & Mazenod.

Ce grand livre est aussi un beau livre. Son premier mérite est donc de faire ouvrir les yeux sur des œuvres importantes et souvent peu connues. Le second est de développer des analyses novatrices : sur la circulation des populations et donc des styles ; sur les iconographies animales et humaines, les probables symboles de la fécondité et ceux de la mort ; sur les matériaux et les instruments employés. Si ces observations ne résolvent pas la question du sens – peut-elle être résolue ? -, elles font accéder à une compréhension au plus près des œuvres et de leur exécution par ces hommes – ou ces femmes ? – dont les créations laissent toujours aussi admiratif et perplexe. Philippe Dagen

CITADELLES & MAZENOD

« L’Art de la préhistoire », sous la direction de Carole Fritz, Citadelles & Mazenod, 586 pages, sous coffret, 205 €.

JEUNESSE. « Contes de Grimm », illustré par Arthur Rackham

En Angleterre, la stature d’Arthur Rackham (1867-1939) est étroitement liée à l’âge d’or de l’illustration, dont l’apogée se situe au tournant du XIXe siècle. Quatre-vingts ans après sa mort, il reste le grand dessinateur de la féerie ; le démiurge des trolls et des géants sur papier, comme on peut le vérifier avec la réédition des Contes des frères Grimm.

Virtuose du trait, il était également un aquarelliste hors pair. Sa technique délicate nimbe d’une atmosphère fantastique son interprétation de classiques – Cendrillon, Le Petit Chaperon rouge… Frédéric Potet

BNF EDITIONS

« Contes de Grimm », illustré par Arthur Rackham, traduit de l’allemand par Armel Guerne, préface de Marie Desplechin, BNF Editions, 192 pages, 29 €.

PHOTOGRAPHIE. « La Banlieue en couleur », de Robert Doisneau

En 1985, Robert Doisneau (1912-1994), familier des appareils de petit ou moyen format que l’on emporte discrètement avec soi, avait pris le parti de travailler autour de Paris avec une chambre photographique pour répondre à l’invitation de la Datar. Photographiée, pour la première fois dans l’œuvre de Doisneau, en couleur, La Banlieue en couleur n’a rien de rose, vue à travers l’objectif du plus populaire des photographes français.

Souvent enfermé dans l’imagerie bon enfant d’un Paris gouailleur et révolu, l’homme connaît bien la banlieue. Il en avait notamment dépeint le caractère sombre dans La Banlieue de Paris (texte de Blaise Cendrars, Seghers, 1949). Le Doisneau de 1985, depuis la tour Extension à Arcueil ou la tour Pleyel à Saint-Denis, ne dévoile à ses pieds que solitudes collectives exacerbées par la verticalité des barres d’immeubles et des flux automobiles abstraits et lointains. Jean-Jacques Larrochelle et Claire Guillot

DOMINIQUE CARRÉ

« La Banlieue en couleur », de Robert Doisneau, Dominique Carré, 112 pages, 21 €.

CRIME. « Le Journal des Assassins », édité par Bruno Fuligni

Sérieux, s’abstenir ! La fantaisie tonitrue dans le Journal des Assassins. Le fondateur de la publication qui portait ce nom, Jules Jouy (1855-1897), surnommé « le poète-chourineur » (c’est-à-dire prompt à se servir de son couteau), avait été garçon boucher avant de devenir chansonnier. Il avait gardé son tranchant dans cette seconde activité. Yvette Guilbert, Aristide Bruant, Damia, grandes vedettes de l’époque, entonnèrent ses ritournelles.

Après avoir lancé Le Journal des merdeux, Jules Jouy l’infatigable orchestra la sortie de l’hebdomadaire Journal des Assassins, dix numéros parus entre le 30 mars et le 1er juin 1884, reproduits aujourd’hui en fac-similé et contextualisés par Bruno Fuligni dans une superbe mise en page. L’humour noir se glisse dans toutes les rubriques traditionnelles d’un journal de naguère : un feuilleton dramatique ou des poèmes, des actualités politiques, des brèves, des illustrations, jusqu’aux encarts publicitaires.

Les lecteurs fidèles se voyaient décerner un « brevet d’assassin » et prodiguer des conseils pour se débarrasser d’un corps ou d’un voisin encombrant. Pour s’abonner ? « A minuit, au coin des rues. » Macha Séry

PLACE DES VICTOIRES

« Le Journal des Assassins », édité par Bruno Fuligni, Place des Victoires, 156 pages, 25 €.

MODE. « La Robe. Une histoire culturelle », de Georges Vigarello

Abondamment illustré et documenté, fourmillant d’anecdotes, convoquant Umberto Eco, Charles Baudelaire ou Roland Barthes, La Robe. Une histoire culturelle, de Georges Vigarello, se savoure à l’égal d’un roman d’espionnage.

C’en est un, il est vrai. L’historien de la beauté et de l’hygiène des corps regarde, en effet, sous les jupes des filles « du Moyen Age à aujourd’hui », pour mieux cerner comment l’habit de la femme traduit, souvent, ce qui fut attendu d’elle au fil des siècles. En somme, l’évolution des mœurs. La gent féminine mettra tout le XIXe siècle à s’affranchir, ne serait-ce qu’un peu, des codes très stricts d’une société dominée par les hommes.

La vraie révolution du statut féminin, note l’auteur, s’illustre au début du XXe siècle avec la « garçonne »… Notre époque, écrit-il, « ne fera que décliner ce qui s’invente en 1930 ». Désormais, la robe est symbole de liberté, parce que la femme peut choisir chaque matin de l’adopter, comme de lui préférer un pantalon ou un short, appartenant aux codes masculins. Véronique Lorelle

SEUIL

« La Robe. Une histoire culturelle. Du Moyen Age à aujourd’hui », de Georges Vigarello, Seuil, 216 pages, 39 €.