Documentaire sur France 3 à 23 h 25

D’allure discrète et bourgeoise, cachant sa timidité derrière un éternel petit sourire que l’on devine ironique, distillant des banalités d’une voix aigrelette, le personnage qui apparaît à l’écran à travers les ­archives de l’INA semble sorti d’un dessin de Sempé. Les apparences sont trompeuses : il s’agit d’un des hommes les plus puissants de la République française, créateur d’un empire ­industriel délivrant une production hautement stratégique et qui, de Léon Blum à Jacques Chirac en passant par Charles de Gaulle et François Mitterrand, a su prospérer et ­résister aux pressions.

Grâce à ses idées et visions de ­génie en matière aéronautique, mais aussi à une générosité intéressée. En distribuant des sommes conséquentes à tous les hommes de pouvoir, de droite comme de gauche, en essayant avec un certain succès de ne se fâcher avec personne, Marcel Dassault (1892-1986) a traversé les tempêtes ­sociales et politiques, bâti un ­empire qui continue de prospérer et fait de la France un acteur ­majeur de l’aéronautique non seulement militaire (de l’Ouragan au Rafale en passant par le Mystère), mais aussi civile, comme en atteste le succès du Falcon.

Parcours tumultueux

Richement doté en images d’archives et témoignages, ce documentaire détaille la vie de Marcel Dassault, né Bloch. Son père, médecin juif alsacien respecté, avait vu d’un mauvais œil la volonté de son fils d’entamer des études d’ingénieur aéronautique à une époque où la passion de l’aviation relevait d’une étrange lubie. Mais au-delà du destin de cet homme dont le parcours épouse celui d’une histoire de France tumultueuse (Front populaire, Occupation, déportation, gaullisme triomphant, relations quasi filiales avec Chirac, arrangements avec le pouvoir socialiste, générosité financière jamais ­démentie avec les communistes, campagnes électorales, investissements dans la presse, le cinéma…), ce film ne se limite pas à la figure du Commandeur.

Jacques Chirac et Marcel Dassault en 1975. / © PROD

Il prend le temps d’explorer les coulisses de la famille Dassault, donnant soudain à cette saga ­industrialo-politique des allures de feuilleton dramatique. Les délicates relations père-fils entre Marcel et Serge, les non-dits, les ambitions des petits-enfants, l’avenir du groupe, les scandales, les manipulations, tout y passe. Avec des rappels historiques édifiants, comme les combats aériens de 1973, lors de la guerre du Kippour, mettant aux prises des Mirage israéliens et des Mirage des forces armées arabes ! Les affaires sont les affaires…

Face à cette famille devenue la cinquième fortune du pays, comment réagit le grand public ? Du temps de Marcel, il semblait accepter avec fatalisme les parts d’ombre entourant cette souriante figure du capitalisme triomphant. Marcel Dassault, personnage hors norme que même la bande dessinée adoubera à sa manière, à travers le talent de Régis Franc et de sa série Tonton Marcel.

Ce qui frappe chez les Dassault, c’est aussi l’incapacité à désigner un héritier pour diriger l’empire. Marcel ne voulait pas de Serge. Serge n’a toujours pas désigné de successeur… Culte du secret, absence de scrupules lorsqu’il s’agit de vendre des avions de combat à des régimes peu fréquentables, l’aventure Dassault continue.

Les Dassault, une affaire de famille, de Jean-Christophe Klotz (France, 2017, 96 min).