Qu’est-ce que la neutralité du Net ?
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Il a suffi de quelques minutes : juste après le vote du régulateur américain des télécoms (Federal Communications Commission, FCC) approuvant la fin de la neutralité du Net aux Etats-Unis jeudi 14 décembre, le procureur de New York a annoncé qu’il allait contester son résultat devant les tribunaux. « Le vote de la FCC pour démolir Internet est une gifle pour les consommateurs new-yorkais, et pour tous ceux qui croient en un Internet libre et ouvert », a ainsi déclaré Eric T. Schneiderman dans un communiqué.

« La FCC a tout simplement offert en avance un cadeau de Noël aux grosses entreprises des télécoms, en donnant aux fournisseurs d’accès à Internet un nouveau moyen de favoriser le profit des entreprises au détriment des consommateurs. Ce retour en arrière donnera aux fournisseurs d’accès de nouvelles façons de contrôler ce que nous voyons, ce que nous faisons et ce que nous disons en ligne. »

La neutralité du Net est un des principes fondateurs d’Internet, selon lequel tous les flux de données doivent être traités de la même manière par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Il leur interdit par exemple de transporter les flux vidéo provenant d’un service donné plus rapidement que ceux d’un autre, ou de bloquer l’accès à certains sites ou à un certain type de contenus. Il empêche aussi aux FAI de faire payer davantage ses consommateurs pour un accès plus rapide à YouTube ou à Netflix, par exemple.

« Nous avons perdu des droits fondamentaux »

Le procureur de New York n’est pas le seul à faire part de sa colère. La FCC « laisse entendre que rien ne changera après cette décision. C’est faux », estime dans un communiqué l’organisation Free Press, consacrée à la liberté d’expression, l’une des plus actives partisanes à la neutralité du Net.

« Ce n’est pas seulement que vous allez payer plus cher pour votre “binge watching” [pratique qui consiste à regarder des vidéos pendant des heures] – et ne vous y trompez pas, c’est ce qui se passera si les entreprises le veulent. Le vrai problème est que nous avons perdu des droits fondamentaux à l’issue de ce vote. »

Mais Free Press ne baisse pas les bras : « Ce n’est pas la fin du combat pour la neutralité du Net. (…) Nous sommes confiants dans le fait que des juges et des législateurs qui analyseront cette décision finiront par désapprouver ses conclusions, mais aussi ses méthodes. D’ici là, nous resterons sur nos gardes concernant les violations des FAI. »

Les géants du Web, représentés par l’Internet Association, ont aussi annoncé qu’ils allaient « explorer les options légales » contre la décision de la FCC. La plupart de ces grandes entreprises ont toujours affiché leur attachement à la neutralité du Net – elles ne se sont toutefois pas montrées très actives ces derniers mois sur la question, alors que sa fin s’annonçait.

Lire l’édito du « Monde » : Pour un Internet accessible à tous

Facebook, Google et Netflix aussi

Plusieurs de ces grandes entreprises ont fait part de leur mécontentement après la décision de la FCC. « Nous sommes déçus », a ainsi déclaré Netflix. « C’est le début d’une longue bataille légale ». Même genre de discours du côté de Google, Twitter ou encore Reddit, dont les utilisateurs furent très actifs en ligne pour défendre la neutralité du Net. La numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg, a de son côté évoqué une décision « décevante et dangereuse ». « Nous sommes prêts à travailler avec des membres du Congrès et d’autres pour faire en sorte qu’Internet soit libre et ouvert pour tous. »

Car en dehors des tribunaux, c’est du côté du Congrès américain que pourrait se poursuivre la bataille. Ses membres sont déjà sollicités depuis plusieurs semaines par une campagne d’appels et d’e-mails lancée par des défenseurs de la neutralité du Net, sans que cela n’ait suffi.

Toutefois, peu après le vote de la FCC, le sénateur démocrate Ed Markey a annoncé que lui et 15 autres sénateurs comptaient lancer une démarche pour faire annuler la décision. Le Congrès a en effet la possibilité, sous certaines conditions, grâce au Congressional Review Act, de voter une résolution pour faire annuler les décisions prises par des agences comme la FCC. Mais cela s’annonce difficile : une telle résolution doit être signée par le président – or c’est Donald Trump qui a choisi un fervent opposant à la neutralité du Net à la tête de la FCC –, ou bien validée par les deux tiers du Congrès, majoritairement républicain.