L’ancien ministre de l’économie Alexeï Oulioukaiev, 61 ans, a été condamné vendredi 15 décembre, par un tribunal de Moscou, à huit années de colonie pénitentiaire / Ivan Sekretarev / AP

Coupable. L’ancien ministre de l’économie Alexeï Oulioukaïev, 61 ans, a été condamné vendredi 15 décembre, par un tribunal de Moscou, à huit années de colonie pénitentiaire à régime sévère et à 130 millions de roubles d’amende (1,8 million d’euros) pour corruption, devenant ainsi le politique russe le plus haut placé envoyé en prison depuis l’ère stalinienne. Tous ses biens, voiture et domicile compris, ont été saisis. Accusé d’avoir perçu un pot-de-vin de deux millions de dollars alors qu’il était en fonction, l’ancien membre du gouvernement russe dénonce un « verdict injuste » et un coup monté par un proche de Vladimir Poutine.

L’ombre d’Igor Setchine, patron de la deuxième compagnie pétrolière publique russe, Rosneft, a constamment plané sur ce procès hors normes commencé le 8 août. A l’origine des accusations portées contre M. Oulioukaïev, le puissant dirigeant d’entreprise n’a pourtant répondu à aucune des convocations, quatre au total, qui lui avaient été envoyées pour venir témoigner. « Setchine aurait pu venir au tribunal et répéter tout ce qu’il a dit aux enquêteurs [mais] la loi n’a pas été violée. Il y a eu assez de preuves », a assuré M. Poutine, après qu’une journaliste l’eut interrogé, jeudi, sur une justice à deux vitesses, lors de sa conférence de presse annuelle.

C’est un « verdict terrible » qui repose sur « une enquête bâclée », a protesté Alexeï Koudrine, ex-ministre des finances et vice-président du Conseil économique auprès du chef du Kremlin, à l’annonce de la condamnation de son ancien collègue, en fonction depuis 2013. « Hélas, beaucoup sont aujourd’hui confrontés à une telle injustice », a ajouté le chef de file des économistes libéraux.

« Le glas peut sonner pour chacun d’entre vous », avait déclaré M. Oulioukaïev, en s’adressant au public d’un ton lugubre lors d’une dernière audience de ce procès très médiatisé. Dans cette affaire, « le metteur en scène est connu », ajoutait-il, en dénonçant une « provocation monstrueuse et cruelle ». L’ex-ministre, qui fut longtemps l’interlocuteur d’Emmanuel Macron lorsque celui-ci était à Bercy et l’avait rencontré à Moscou en janvier 2016, est apparu au fil des mois de plus en plus amaigri.

« Je pensais que dans le sac, il y avait du vin… »

Les faits remontent à l’automne 2016. Le 15 novembre, cette année-là, Alexeï Oulioukaïev est interpellé par le FSB, les services de sécurité russes, sortant du siège de Rosneft avec, dans une main, un sac de 22 kg contenant 2 millions de dollars, et dans l’autre, un panier rempli de saucisson. « Je pensais que dans le sac, il y avait du vin que m’avait promis Setchine et que je n’avais jamais goûté », dira-t-il pour sa défense. Selon le patron de Rosneft, le ministre aurait tenté de lui extorquer cet argent. A l’époque, les deux hommes divergent sur le programme des privatisations.

Il y a d’abord celle de Bachneft, une compagnie pétrolière sur laquelle Rosneft, inscrite sur les listes des sanctions américaines et européennes, lorgne, mais que M. Oulioukaïev juge inadaptée pour une telle opération : « Les sociétés publiques ne devraient pas participer aux privatisations », estime-t-il.

En fin de compte, Bachneft sera bel et bien absorbée par le géant pétrolier public, dont une partie des actions, 19,5 % du capital, est elle-même cédée sur le marché, quelques semaines plus tard, pour renflouer les caisses de l’Etat. Une deuxième étape qui suit de peu l’arrestation du ministre.

Alexeï Oulioukaïev, au tribunal de Moscou, le 15 décembre. / Ivan Sekretarev / AP

Relativement modeste il y a quinze ans, Rosneft a connu une croissance fulgurante sous la direction de M. Setchine, un proche du chef du Kremlin depuis l’époque où il travaillait au service de M. Poutine à la mairie de Saint-Pétersbourg, dans les années 1990. Par la suite, ce fidèle suivra son mentor à Moscou, où il fera son entrée dans l’administration présidentielle. Rosneft, dont il finira par prendre les rênes en 2012, s’est en partie développé sur les ruines de Ioukos, l’entreprise de Mikhaïl Khodorkovski. Aujourd’hui dans l’opposition, en exil, l’ex-oligarque a lui-même passé dix ans en prison à régime sévère. « Vous êtes étonnés ? », a réagi ce dernier, vendredi, sur son compte Twitter.

Trente témoins se sont succédé au procès de M. Oulioukaïev. Mais aucune preuve du chantage qu’aurait exercé le prévenu n’a été réellement été présentée au tribunal Basmanny de Moscou. Les écoutes de son téléphone ont été produites, dans lesquelles il est clairement apparu que c’est M. Setchine qui l’a appelé, et non l’inverse.

Lors d’une ultime audience, le 7 décembre, Alexeï Oulioukaïev a exprimé des regrets. Non sur sa culpabilité, qu’il n’a jamais reconnue, mais sur sa participation au gouvernement. « Je suis coupable d’avoir fait trop de compromis, d’avoir choisi les moyens faciles et la carrière à la place des principes. Je tournais dans une ronde bureaucratique dénuée de sens, j’ai reçu des cadeaux, j’en ai moi-même donné. (…) Pardonnez-moi pour tout cela », concluait-il à l’intention de ses concitoyens.