La ressemblance est frappante. Lydia Ramaphosa, la sœur du vice-président sud-africain, se tient dans l’embrasure de la porte, chez elle, à Soweto, le township le plus connu de Johannesburg. C’est là, dans cette maison désormais rénovée et entourée d’un mur de protection, que Cyril Ramaphosa, 65 ans, a passé son enfance. Et alors que le Congrès national africain (ANC, au pouvoir) se réunit, samedi 16 et dimanche 17 décembre, pour élire son nouveau chef, celui-ci fait figure de favori pour succéder à Jacob Zuma – et potentiellement prendre la tête du pays lors des prochaines élections, en 2019.

« Je ne vais pas mentir, il n’a plus trop le temps de passer », amorce la sexagénaire. Sur les futures responsabilités qui pourraient attendre son frère, Lydia Ramaphosa se montre à la fois fière et méfiante. « C’est difficile de gouverner les gens à cause de toute la corruption », risque-t-elle. La sœur du numéro deux de l’Etat ne semble pas tellement préparée à la déferlante qui pourrait se produire ces prochaines semaines. Ce week-end, Cyril Ramaphosa, chef de file des frondeurs anti-Zuma, affrontera Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex-femme du président actuel, qui termine son deuxième mandat plombé par une succession de scandales de corruption. La bataille s’annonce serrée et l’ANC est plus que jamais divisée en deux camps irréconciliables.

« Il nous faut du sang neuf »

Enfant de Soweto, Cyril Ramaphosa semble faire l’unanimité dans le quartier de Tshiawelo qui l’a vu grandir. Situé dans le sud du township de 3 millions d’habitants, berceau de la lutte contre l’apartheid, ce quartier accueille des populations noires plutôt aisées. Si les maisons restent modestes pour la plupart, il n’est pas rare de voir passer une berline allemande. Ici, les habitants ne font plus tellement confiance au parti de Nelson Mandela, au pouvoir depuis 1994. Beaucoup ont rejoint les rangs des Combattants pour la liberté économique (EFF), du trublion Julius Malema – une scission de l’ANC tendance gauche révolutionnaire.

« Cyril Ramaphosa est venu ici la semaine dernière. En quelques mots, il nous a apporté une vision différente de l’ANC », explique Vuyani N., l’administratrice de l’église presbytérienne située en face de l’école primaire où le vice-président était élève. « Et en plus, il sait parler toutes les langues ! », s’enthousiasme-t-elle. Issu du peuple Venda, originaire du Limpopo (nord), dans un pays où les Zoulous et les Xhosas sont majoritaires, le candidat était venu rencontrer un groupe de retraités.

« Il a promis qu’après les élections, il n’y aurait plus de corruption et qu’on aurait une vie meilleure », poursuit Vuyani. D’après la jeune femme, les grands-mères de l’assistance, inquiètes pour leurs enfants sans emploi, sont sorties exaltées de cette rencontre. « Ce qui est bien, c’est qu’il ne dit pas simplement Votez pour moi”, mais “Changeons ensemble l’Afrique du Sud pour la rendre meilleure” », ajoute-t-elle.

Non loin, Thembiso Dumbi, ouvrier dans la construction et membre de l’ANC depuis dix-huit ans, arbore un tee-shirt délavé à l’effigie de Jacob Zuma. « Avec toute cette corruption et ces allégations, on n’en veut plus, et encore moins de son ex-femme. Il nous faut du sang neuf, explique-t-il. Il faut donner à Cyril la chance de diriger le pays. Plein de gens ici n’ont pas de travail. Lui va nous apporter des opportunités, c’est un businessman, il va faire revenir les investisseurs. »

Dans le quartier, Ramaphosa, qui a financé la rénovation d’écoles, est vu comme un bienfaiteur. Jacob Zuma, lui, est perçu comme l’artisan de la débâcle économique de l’Afrique du Sud, dont le taux de croissance est quasi nul et où le chômage avoisine les 30 %. Plusieurs de ses manœuvres politiques controversées ont eu un impact direct sur le cours du rand, la monnaie sud-africaine, et ont pesé lorsque les agences de notation ont dégradé la note du pays, courant 2017.

Massacre de Marikana

« Souvenez-vous : avant même la libération de Mandela, Ramaphosa a négocié la transition démocratique et la fin de l’apartheid. Mandela l’avait même choisi pour lui succéder », raconte Aaron Hutton, le gérant d’un minuscule cybercafé. Ramaphosa était alors le chef du plus grand syndicat des mineurs du pays. Mais, à la fin des années 1990, les caciques du parti lui ont préféré Thabo Mbeki. Après cet échec, il s’est mis en retrait de la vie politique pour mener carrière dans le privé, au moment où l’élite de l’ANC s’est vue associée au monde des affaires.

Nommé dans les conseils d’administration de grands groupes détenus par la minorité blanche, il a monté une holding, Shanduka, un temps propriétaire des licences sud-africaines de McDonald’s et de Coca-Cola. D’après le magazine Forbes, en 2015, sa fortune personnelle s’élevait à 450 millions de dollars (environ 410 millions d’euros à l’époque). Soit assez, d’après ses partisans, pour qu’il ne cherche pas à s’enrichir une fois au pouvoir.

Aaron Hutton balaie les critiques récurrentes formulées contre son candidat après le massacre de Marikana : en 2012, la police avait ouvert le feu sur des grévistes dans une mine dont Ramaphosa était l’administrateur, faisant 34 morts. Il n’a que faire, non plus, des récentes révélations portant sur les liaisons extraconjugales du vice-président, alors même que celui-ci mène une campagne axée sur l’éthique et la morale pour mieux se démarquer de Jacob Zuma, à qui l’on prête de nombreuses aventures. « Pour Marikana, il a été blanchi, et pour les affaires sexuelles, c’est quand même étonnant qu’elles ne sortent que maintenant qu’il a l’avantage sur les autres », conclut le gérant de cybercafé.