C’est un moment de réconfort que la garde des sceaux, Nicole Belloubet, devrait connaître vendredi 15 décembre en rencontrant la Conférence nationale des procureurs de la République. Alors que les « chantiers de la justice » lancés le 5 octobre sont vertement critiqués par les syndicats de magistrats, qui dénoncent la consultation qui l’accompagne comme étant « de pure façade », l’association des procureurs a choisi d’inviter la ministre de la justice à son assemblée générale annuelle. Une première.

En préalable à une loi de programmation quinquennale qui doit être présentée au printemps 2018 et à deux réformes pénale et civile, Mme Belloubet a ouvert cinq chantiers thématiques sur la transformation numérique, l’amélioration et la simplification de la procédure pénale, ainsi que de la procédure civile, l’adaptation de l’organisation territoriale et le sens et l’efficacité des peines.

Un travail de grande ampleur mené à marche forcée, puisque les remontées de terrain sont attendues vendredi, pour une présentation des propositions à la ministre le 15 janvier 2018.

Les assemblées générales de plusieurs juridictions, réunissant magistrats du siège et du parquet, ont d’ailleurs voté des motions pour refuser de participer à ces « chantiers ». Au tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), la motion votée sur proposition des deux principaux syndicats, l’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature, dénonce « l’aveuglement du ministère de la justice sur les conditions de travail et la souffrance qui en résulte dans les juridictions », qui rendent « impossible un travail d’élaboration » pour répondre à la consultation dans les délais impartis.

A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), on dénonce « la réforme annoncée de la carte judiciaire », qui aurait « pour seul objectif une flexibilité accrue grâce à une mutualisation des moyens humains au sein de ressorts très étendus, portant gravement atteinte au principe d’inamovibilité [des juges], sans bénéfice pour les justiciables ».

Simplification des procédures

Par contraste, Marc Cimamonti, le président de la Conférence nationale des procureurs, proclame sans modestie : « Nous sommes véritablement le seul ferment de dynamisme dans l’institution judiciaire. » Est-ce le fonctionnement plus collectif et hiérarchique des parquets qui les amènent à cette démarche constructive à l’égard de la ministre ? Sans doute. Ils seront plus d’une centaine vendredi à échanger avec elle sur leurs préoccupations de terrain et leurs propositions, sans passer par le filtre hiérarchique habituel des procureurs généraux, situés au niveau des cours d’appel.

Sur le chantier de la réforme de la procédure pénale, au cœur de laquelle se trouvent les parquets, le questionnaire adressé par la chancellerie reprenait une partie des demandes formulées par le ministère de l’intérieur au nom des services de police et de gendarmerie.

La Conférence des procureurs se montre également favorable à une simplification des procédures, dont le formalisme est devenu synonyme de lourdeur paperassière, comme en matière de garde à vue. Ils se disent ouverts aussi à la proposition d’habilitation nationale unique pour les officiers de police judiciaire, dont la compétence est actuellement territorialement limitée.

La Conférence des procureurs est dans l’ensemble favorable à une plus grande autonomie des services enquêteurs, dès lors que ce sont bien les parquets qui conservent le pouvoir d’orienter les poursuites et de classer ou non une affaire. « Il faut clarifier les offices de chacun », plaide M. Cimamonti, qui dirige le parquet de Lyon. Selon lui, les procureurs doivent se concentrer sur « la définition d’une politique locale d’action publique », plutôt que sur le suivi au jour le jour des enquêtes.

Sur le point extrêmement sensible des nullités de procédure, dont certains avocats font leur miel, les procureurs proposent de modifier la rédaction de la loi afin d’écarter celles qui résulteraient d’erreurs ou d’omissions pour ne retenir que celles qui auraient « intentionnellement porté atteinte aux intérêts » d’une des parties.

Espace de liberté plus grand

Dans cette démarche, les procureurs réclament un espace de liberté plus grand. Limiter le nombre de demandes d’actes nécessitant l’intervention du juge des libertés et de la détention ne serait pas pour leur déplaire, tandis qu’ils souhaiteraient étendre le champ des procédures sur lesquelles ils ont la main, comme le plaider-coupable (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité).

Au ministère de la justice, on ne cache pas que leurs propositions se rapprochent des pistes de réformes qui se dessinent. Ils se réjouissent ainsi de la perspective de la création d’un tribunal départemental de première instance, au sujet duquel les magistrats du siège sont beaucoup plus inquiets. La chancellerie s’est montrée sensible à certaines « revendications », comme le fait de réduire le nombre de circulaires adressées aux parquets, où l’on a le sentiment qu’une priorité chasse l’autre.

Par ailleurs, alors que le ministère cherche à réduire le taux de vacances de postes chez les magistrats du parquet, supérieur à leurs homologues du siège, une réflexion est engagée afin de revoir la répartition du nombre de postes entre siège et parquet dans certaines juridictions.

Dans la continuité des réformes législatives des vingt dernières années, un nouveau renforcement du rôle des procureurs se dessine. Mais la condition préalable devra être une réforme constitutionnelle vers davantage d’indépendance du parquet. Un sujet qui n’est pas gagné.