Le cinéaste et écrivain Jean-Paul Civeyrac. / CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE/JEAN PAUL HIRSCH

Jean-Paul Civeyrac est ­cinéaste. On lui doit, depuis Ni d’Eve ni d’Adam, en 1997, une poignée de films attachants et sensibles. De carrière, au sens classique du terme, point. Une œuvre plus volontiers, avec des titres qui ont marqué un public de cinéphiles, quelque chose qui ressemble, faute de goût pour la criarde brutalité du temps, à une présence discrète et élégante, obstinément tenue au seuil de la disparition. C’est d’ailleurs par un soir où la vie s’engloutit dans ce sentiment de disparition et se rend du même coup disponible, un soir où l’on se dissout mollement devant sa télévision, que s’ouvre Rose pourquoi, court et séduisant récit portant sur la mystérieuse persistance d’un souvenir, que vient de publier Jean-Paul Civeyrac.

Coup de foudre

Cette absence à soi-même que favorise le zapping du petit écran conduit à la découverte inopinée d’une brève scène d’un film des années 1930, dans laquelle une femme est saisie d’un coup de foudre pour un joli cœur rencontré dans une fête foraine. Voici comment l’auteur décrit l’impression alors faite sur lui : « Il y avait là un mystérieux halo isolant ces deux êtres, une sorte de bruissement entre eux, une émouvante vibration de l’air, beaucoup d’amour par courants électriques, et surtout quelque chose qui, dans l’immédiat de la circonstance, s’était mis à arrêter le temps, à fissurer le glacis des apparences, à s’insinuer très loin en moi sans que j’y prenne garde, m’emplissant d’une sorte de joie étrange, et qui aussi, selon de mystérieux effets à infusion lente, laissera ­affleurer plus tard et de manière intermittente, à la lisière de la conscience, l’écho presque imperceptible d’un éclair – comment le nommer autrement ? – d’origine inconnue. »

Le film en question se nomme Liliom, c’est un mélodrame de Frank Borzage, adapté d’une pièce de théâtre hongroise, et il est interprété par Rose Hobart et Charles Farrell. L’histoire d’une fille qui part par amour avec un séducteur qui la maltraite, avant de s’en repentir, de se suicider et d’attendre, depuis le purgatoire, la naissance de leur enfant. La scène obsédante dont procède le livre est leur rencontre. S’interrogeant sur le mystère de cette ­persistance, l’auteur en vient à penser qu’il a intimement à voir avec l’essence même du cinéma, qui atteint au meilleur de lui-même la grâce d’une épiphanie. Agrémentée des quelques photogrammes qui saisissent l’extase de Rose Hobart, enchâssant l’un des gros plans les plus magnifiques de l’histoire du ­cinéma, la rêverie analytique à ­laquelle il nous invite nous emporte par sa finesse, sa passion, sa beauté.

Rose pourquoi, de Jean-Paul Civeyrac. P.O.L, 128 p., 13 €.

P.O.L