Vladimir Poutine, le 14 décembre à Moscou. / ALEXEY DRUZHININ / AFP

Ce sera sans doute le seul face-à-face de la campagne présidentielle russe. Il n’a duré que quelques minutes, lorsque la journaliste-candidate, Ksenia Sobtchak, s’est levée pour interpeller le président-candidat, Vladimir Poutine, qui tenait, jeudi 14 décembre, sa traditionnelle conférence de presse annuelle dans un grand hôtel de Moscou. « Les candidats de l’opposition ne sont pas autorisés à participer [à l’élection], soit on les en empêche, soit on leur crée des problèmes », a-t-elle commencé.

A 36 ans, l’ex-vedette de télévision et fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak avec lequel M. Poutine a commencé sa carrière politique, a déjà annoncé son intention de se présenter elle-même au suffrage du 18 mars 2018, sans savoir si elle pourra, in fine, concourir en obtenant les signatures nécessaires. Elle a également cité le principal opposant du Kremlin, Alexeï ­Navalny, absent, « contre lequel des affaires pénales factices ont été créées, ce qui a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme… » Reconnu coupable de malversations financières, ce pourfendeur du régime, qui mène campagne depuis un an, ne pourra pas franchir cet obstacle érigé sur son chemin.

« Tout le monde a peur »

« Pareil pour moi, a enchaîné Mme Sobtchak, c’est très difficile de louer une salle… Car tout le monde a peur. Les gens comprennent qu’être dans l’opposition signifie soit on te tue, soit on te met en prison, ou quelque chose de ce genre. Le pouvoir a-t-il si peur d’une concurrence honnête ? »

Dans un exercice qu’il affectionne, devant plus de 1 000 journalistes russes et étrangers réunis une semaine à peine après avoir officialisé sa propre candidature pour un quatrième mandat, le chef du Kremlin a claqué brutalement la porte à l’opposition libérale, déjà marginalisée. « Vous voulez que des dizaines de Saakachvili courent sur nos places ? », a-t-il lancé en prenant pour repoussoir l’ancien président géorgien.

Mikheïl Saakachvili appelle aujourd’hui, en Ukraine, où il a commencé une carrière politique, à la destitution de son président, Petro Porochenko. « Ce qu’il fait en ce moment est un crachat au visage du peuple géorgien, un crachat au visage du peuple ukrainien. » Pour M. Poutine, qui a ainsi commenté les derniers événements à Kiev, Saakachvili semble devenu le nom commun de toute forme d’opposition « version russe ».

« Vous voulez que de tels Saakachvili déstabilisent la situation dans le pays ? Que nous vivions d’un Maïdan [place du soulèvement ukrainien de 2014] à l’autre ? Que nous subissions des tentatives de coup d’Etat ?, a-t-il poursuivi sur un ton offensif. Je suis sûr que l’écrasante majorité des citoyens russes ne le veut pas et ne le permettra pas. » La stabilité, c’est lui. Le chaos, ce sont « tous les Saakachvili » – nom avec lequel M. Poutine a même rebaptisé les manifestants du mouvement de contestation de 2011, Occupy Wall Street, aux Etats-Unis.

Crédité de 75 % des intentions de vote par l’institut Levada, le président-candidat n’entend pas céder un pouce de terrain à l’opposition « hors système », comme il est d’usage d’appeler en Russie les partis qui ne sont pas représentés au Parlement. « Lepouvoir n’a peur de personne », a-t-il affirmé. Le chef du Kremlin se présentera à l’élection présidentielle de mars 2018 en candidat « indépendant », au-dessus de tous, sans l’étiquette du parti au pouvoir, Russie unie, dont l’image a sérieusement pâli sous l’effet de la crise depuis quatre ans.

Pendant près de quatre heures, M. Poutine a passé plusieurs sujets en revue, tels que le « choc surmonté » des années 2014-2015, avec la chute des cours du pétrole et les sanctions. Il a qualifié celles adoptées par le Comité olympique pour les prochains Jeux olympiques d’hiver de « tapage politisé » avant l’élection russe. Il a de nouveau nié toute ingérence dans la présidentielle américaine de 2016, en décernant au passage un curieux satisfecit à Donald Trump : « Nous avons objectivement ­assisté à des réussites majeures, dans le peu de temps qu’il a passé à son poste. Voyez la croissance des marchés, cela alimente la confiance des investisseurs à l’égard de l’économie américaine. »

Il a, enfin, sur la Syrie, félicité le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, pour l’envoi de ses hommes « sunnites » à des fins de mission de police militaire. Mais il n’a, à aucun moment, présenté le début d’un programme pour un nouveau mandat, qui devrait lui permettre de présider aux destinées de la Russie jusqu’en 2024.

« Remarquez, aujourd’hui, Poutine a pour la première fois admis que mon interdiction de participer à l’élection est une décision politique consciente », a réagi sur Twitter Alexeï Navalny, concurrent virtuel dont le nom, lui, n’est jamais prononcé au Kremlin.