François Gabart à l’entraînement en octobre 2017, en Bretagne, avant le départ de son tour du monde. / Jean-Marie LIOT / ALeA

François Gabart a fait fondre comme banquise au soleil le record du tour du monde en solitaire. Dimanche matin 17 décembre, le navigateur a franchi la ligne d’arrivée virtuelle entre l’île d’Ouessant (Finistère) et le cap Lizard (Angleterre), après quarante-trois jours d’itinérance. Soit six jours de mieux que Thomas Coville au mois de décembre 2016.

Christian Le Pape est directeur du centre d’entraînement national réunissant les meilleurs marins français, qui a vu passer François Gabart (le pôle « Finistère course au large », à Port-la-Forêt). Il estime que ce nouveau record pourrait être encore dépassé dans les années à venir.

A 34 ans, François Gabart a amélioré de six jours le record autour du monde en solitaire. Comment expliquer pareil exploit ?

Christian Le Pape : Il est difficile d’isoler un facteur plutôt qu’un autre. Bien sûr, la météo a été essentielle. François a eu un bon enchaînement météo.

Je ne sais pas si c’est l’inconscience de la jeunesse, mais quand François est parti, la météo n’était pas extrêmement favorable, elle était juste moyenne. Ce n’était pas le créneau idéal. Avant de partir, François avait même envisagé de laisser le bateau lors de son passage au large du Brésil pour préparer une autre tentative, si jamais il n’avait pas été dans les temps [du record de Thomas Coville, en 2016].

Et puis, tout s’est bien enchaîné. Ça s’est un peu ouvert, les alizés étaient plus au rendez-vous, plus forts. Après, il a déroulé, il a eu des vents portants forts sans une mer aussi démontée, donc ça a joué. Dans le sud, il a enchaîné de belles choses.

Peut-on envisager un prochain record sous la barre des quarante jours ?

L’an dernier, quand Thomas Coville avait terminé en quarante-neuf jours et trois heures, tout le monde disait déjà que c’était incroyable, tout le monde pensait que ce record resterait accroché là pendant une décennie. Un an plus tard, on voit qu’il a été battu de six jours.

Aujourd’hui, on approche un peu les limites de ce record. Mais on peut encore gagner du temps. Dans le Pacifique, François a ralenti au moins deux fois pour laisser passer de très grosses dépressions qui auraient pu endommager le bateau. En fin de parcours, François a aussi buté contre des régimes de vent très faibles à l’entrée du golfe de Gascogne.

Pour un record en solitaire, on entre dans les limites de la technologie et de l’humain. Oui, les bateaux vont sans doute aller de plus en plus vite, mais est-ce que les individus seront toujours capables de tenir le rythme ?

François Gabart au large des côtes françaises.
Durée : 01:00

Vous parlez de technologie. En quoi le trimaran géant de François Gabart diffère-t-il de celui de Thomas Coville ?

Le bateau de François, c’est près d’une tonne de moins, déjà. En mer, cette question de poids a une importance considérable. Ce record, c’est à la fois du haut niveau sportif et de la haute technologie [la société d’assurance Macif finance le budget à hauteur de 25 millions d’euros sur quatre ans].

Quand vous entrez dans les bureaux de l’équipe de François, vous tombez sur sept ou huit ingénieurs qui travaillent devant leurs écrans, qui analysent, qui conçoivent, qui modélisent. C’est une petite start-up.

Quel intérêt, selon vous, a cette quête de records ?

On pourrait parler d’une quête d’absolu, d’engagement de soi, de lâcher prise aussi. C’est assez saisissant : en course, vous avez des adversaires qui sont proches de vous et qui en bavent autant que vous ; mais là, dans un record en solitaire comme celui-là, vous êtes seuls au milieu de nulle part. Pour plaisanter, j’ai souvent dit que François était plus loin d’une terre habitée que ne l’était Thomas Pesquet dans l’espace : François naviguait à 4 000-5 000 kilomètres minimum des côtes, alors que Thomas Pesquet était en orbite à environ 400 km de haut.

Depuis Port-la-Forêt, comment avez-vous suivi le périple ?

Le premier geste du matin, c’était de repérer la position du bateau. Le dernier geste, c’était aussi de repérer le bateau. Ça rythmait complètement la vie du bourg. Je n’ai pas appelé François mais j’ai échangé pas mal de mails avec lui, des messages plutôt légers. Je ne voulais pas lui donner de consignes de courses, il ne fallait pas interférer avec sa cellule de routage. Dernièrement, par exemple, je lui ai demandé d’arrêter de troubler notre tranquillité dominicale : avant ce dimanche, François a déjà battu deux fois un record un dimanche.