Après l’arrestation de « Rogério 157 », de nombreux clichés de l’équipe de policiers, fiers de poser au côté du caïd de Rocinha, ont circulé sur les réseaux sociaux. / Whatsapp

Sommée d’expliquer son geste à sa hiérarchie, Miriam Glória Carvalho dos Santos a confessé la vanité. Avant de prendre un selfie au côté de l’homme le plus recherché de Rio de Janeiro, Rogério Avelino da Silva, dit « Rogério 157 », tout juste menotté, aurait assuré à la policière qu’elle deviendrait « une célébrité sur Instagram ». « C’est comme aller à Rome et ne pas voir le pape. Je vais arrêter “Rogério 157” et ne pas immortaliser ce moment ? », aurait-elle glissé lors d’un échange de messages WhatsApp avec des amis.

La policière n’est pas la seule à avoir recherché son moment de gloire avec le caïd de la Rocinha, la plus grande favela de Rio, ensanglantée depuis mi-septembre par une guerre entre trafiquants de drogue. Quelques heures après avoir été appréhendé par les forces de l’ordre, le 6 décembre, le malfrat apparaissait, esquissant un sourire provocateur, sur de multiples clichés diffusés par les réseaux sociaux, entouré de policiers hilares et fiers. La photo la plus ahurissante restant celle du groupe : l’équipe presque au complet, fusils en bandoulière, cerne le bandit, aux airs de trophée de safari.

Une superstar du crime

« Il y a eu un moment d’euphorie (…) et il est possible que, avec ces photos, on ait dépassé les bornes », a reconnu le secrétaire à la sécurité de l’Etat de Rio, Roberto Sá, lors d’une conférence de presse, réprouvant tout comportement qui pourrait « glamouriser » le prévenu.

Décrit par la presse brésilienne comme un « métrosexuel » aux ongles manucurés, le trafiquant, qui doit son surnom à l’article 157 du code pénal réprimant les vols avec agression, est pourtant en voie de devenir une superstar du crime. Erigé en ennemi public numéro un depuis le déclenchement de la guerre des gangs à la Rocinha dont il est l’un des protagonistes, il est susceptible d’écoper de quelque deux cents ans de prison, selon les calculs du quotidien O Globo.

Parmi ses faits d’armes, corruption, trafic de drogue, racket des habitants de la Rocinha, divers homicides et participation à la prise d’otages dans l’Hôtel Intercontinental du quartier huppé de Sao Conrado, en août 2010. Une époque où il n’était encore qu’un second couteau, le bras droit du « chef bien-aimé » de la Rocinha, Antônio Francisco Bonfim Lopes, dit « Nem ». C’est après l’arrestation de ce dernier, en 2011, que « Rogério 157 » prendra du galon, au point de vouloir détrôner « Nem do Rocinha » qui, depuis sa cellule, continuait d’exercer son autorité. Le divorce entre les deux bandits a signé le début d’une bataille rangée entre les équipes fidèles à l’un ou à l’autre, faisant une vingtaine de morts.

« Les selfies des policiers témoignent de la décomposition totale du système de sécurité de Rio. Plus personne n’est aux commandes. » Guaracy Mingardi, analyste au Forum brésilien de sécurité publique

Malgré le CV du caïd, la fierté des policiers passe mal. Car l’arrestation du malfaiteur ne peut faire oublier les fusillades quasi quotidiennes dans les quartiers défavorisés de Rio et les sept assassinats recensés toutes les heures dans le pays. Surtout, la prise de « Rogério 157 » ne présage en rien d’une accalmie. Le chef autoproclamé a déjà été remplacé et, deux jours après son arrestation, de nouveaux tirs à la Rocinha ont fait trois morts, dont un chauffeur de moto-taxi victime d’une balle perdue. « Les selfies des policiers témoignent de la décomposition totale du système de sécurité de Rio. Plus personne n’est aux commandes », estime Guaracy Mingardi, analyste criminel au sein du Forum brésilien de sécurité publique.

Signe des temps, « Rogério 157 » a été arrêté à quelques centaines de mètres du pénitencier où croupit l’ex-gouverneur Sérgio Cabral, condamné, à l’instar de la quasi-totalité de l’ancien état-major de Rio, pour des faits de corruption.