Après une myriade de manifestations en tout genre (expositions, rétrospectives, conférences, rencontres, etc.), le centenaire de la naissance de Jean Rouch (1917-2004), le cinéaste ethnologue, s’achève en beauté avec la sortie, aux Editions Montparnasse, d’un coffret de 10 DVD, contenant une trentaine de films rares, et, aux Editions de l’Œil, d’un élégant livre-DVD, Jean Rouch, films et ­photogrammes. Le tout forme un ensemble à l’image de l’œuvre rouchienne, dont la légende veut qu’elle avoisine la centaine de titres : une pagaille joyeuse et foisonnante, impossible à contenir ni à classer. On y trouve des films de durées variables (longs, moyens et courts), des fictions, des documentaires et des reportages, divers fragments et bandes inachevées. Rouch tournait la plupart du temps en Afrique, au gré de ses déplacements, de ses rencontres et des occasions, souvent plusieurs films en même temps, en interrompant certains, en commençant d’autres, les terminant parfois des années plus tard.

Son irrévérence malicieuse, teintée d’anarchisme, eut une influence déterminante sur la Nouvelle Vague

Rouch a filmé les rites du plateau Dogon, la boucle du Niger, les danses de possession, la chasse au lion ou à l’hippopotame, les rêves et aspirations de la jeunesse africaine, ainsi que de fantasques récréations avec ses complices de toujours (Damouré Zika, Lam Ibrahim Dia, Tallou Mouzourane). On a beaucoup dit que son style aussi libre qu’impur, à mi-chemin des sciences humaines et de l’improvisation poétique, la modestie de ses moyens techniques et son irrévérence malicieuse, teintée d’anarchisme, eurent une influence déterminante sur la Nouvelle Vague. Certains, comme le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène, ont parfois critiqué son regard posé sur l’Afrique comme venant de l’extérieur et recoupant inévitablement une certaine position de ­supériorité occidentale.

JEAN TOUCH UN CINÉMA LÉGER ! FUNÉRAILLES A BONGO - EXTRAIT
Durée : 02:01

Quoi qu’il en soit, le coffret contribue à faire redécouvrir, entre autres, une dimension plus transversale de son œuvre, celle, par exemple, de portraits nombreux, dépeignant de grandes figures d’intellectuels africains (Amadou Hampâté Bâ, Stanislas Adotevi), d’ethnologues amis (Germaine Dieterlen, Marcel Mauss) ou d’artistes occidentaux (Raymond Depardon, William Witney). La méthode est souvent la même : ne pas « graver dans le marbre » l’image de la personne, mais faire valoir ses réactions du moment, à travers un échange informel et pris sur le vif.

JEAN ROUCH UN CINÉMA LÉGER ! GOUMBE DES JEUNES NOCEURS - EXTRAIT
Durée : 02:01

Le secret de la méthode Jean Rouch

C’est toutefois un film méconnu qui nous aiguille sur le secret de la méthode Jean Rouch. Babatu, les trois conseils (1976), présenté dans une belle copie restaurée, offre le seul cas de reconstitution historique de sa filmographie, genre dispendieux qui semble, a priori, à mille lieues du style libre et spontané du cinéaste. Le film retrace l’épopée, au XIXe siècle, des guerriers zarma, soudés autour de leur chef Babatu et partis conquérir le pays gourounsi, prospérant grâce au commerce d’esclaves. Le récit épouse la forme d’une fable : l’un des lieutenants de Babatu reçoit trois conseils d’un vagabond en l’échange de l’affranchissement d’une esclave. Leur application scrupuleuse lui vaudra de rejoindre son foyer en toute prospérité, mais surtout de prendre conscience de ce fléau qu’est la guerre.

JEAN ROUCH UN CINEMA LEGER ! - EXTRAIT : BABATU. LES 3 CONSEILS
Durée : 01:57

La grande beauté du film tient à ce que Rouch renverse l’idée même de reconstitution. Il ne s’agit pas, pour lui, de fixer le passé dans le formol d’une fiction, mais de « rejouer » celui-ci sur un mode documentaire, à base d’improvisations, d’impromptus et d’instantanés. Le temps historique, révolu, n’apparaît plus comme une construction factice, mais comme une production du présent. Cette affirmation d’un présent incompressible mais pressant, y compris lorsqu’il s’agit de raconter le passé, est précisément ce à quoi tient tout le cinéma de Jean Rouch. C’est la formulation même de son éthique de cinéaste et de son rapport au monde : rien ne peut être filmé qui ne soit regardé en même temps, dans un rapport toujours instable, incertain et évolutif avec l’objet en question. Pour Jean Rouch, regarder et filmer, filmer et regarder, sont les deux temps d’un même geste qui ne s’exécute jamais qu’ici et maintenant.

JEAN ROUCH UN CINÉMA LÉGER ! - EXTRAIT "COUSIN COUSINE"
Durée : 02:07

Jean Rouch, un cinéma léger ! 1 coffret 10 DVD, Editions Montparnasse. Jean Rouch, films et photogrammes. 1 livre DVD, La Traverse/Editions de l’Œil.