Le chef français Stéphane Jégo pose avec le réfugié syrien Mohammad El Khaldy (à droite) avant le Refugee food festival, le 10 juin 2016 à Paris. / PATRICK KOVARIK / AFP

Employée dans une entreprise du tertiaire, Elena (le prénom a été modifié), la trentaine, est une jeune femme souriante, à la voix douce. On n’imagine pas en la voyant qu’elle a connu les violences dans son pays d’origine, la Syrie, et a dû fuir. C’était « en 2011, au moment de la révolution », le soulèvement populaire contre le régime du président Bachar Al-Assad, brutalement réprimé. Elena était journaliste, comme son mari, à la télévision publique. « Quand les manifestations pacifiques ont débouché sur des bains de sang, on a dit qu’il fallait parler de démocratie, de liberté. On a été menacés. On s’est enfuis. »

Trois ans plus tard, après un passage par Dubaï, Elena arrive en France avec ses deux enfants. Sans réseau de connaissances, sans famille. Une vie à reconstruire. Son mari suivra un an et demi plus tard.

En 2016, 36 550 personnes, mineurs inclus, ont obtenu le statut de réfugié ou bien une protection subsidiaire. Ils représentent, ensemble, plus d’un dixième environ des migrants arrivant dans l’Hexagone. Migrants auxquels les Nations unies consacrent une Journée internationale chaque année depuis 2000, le 18 décembre.

« Un traumatisme »

Les parcours d’insertion professionnelle des réfugiés présentent une différence essentielle avec ceux des autres migrants : les premiers ont « dû partir dans l’urgence pour sauver leur vie, laissant tout derrière eux, ils ont subi un traumatisme », explique Kavita Brahmbhatt, cofondatrice de l’association Action Emploi Réfugiés, qui propose des offres d’emploi.

Reine Sohou, 32 ans, victime d’un mariage forcé en Côte d’Ivoire avec un homme de « plus de 70 ans », a fui son pays en 2014 où elle était « menacée, en raison de graves problèmes familiaux », raconte-t-elle. Ses deux enfants sont restés dans le pays. « Quand je suis partie, cela s’est fait très vite, j’ai juste emporté mes papiers. » Elle a été suivie par un psychologue pendant deux ans, « parce que ce passé m’empêchait de vivre, de travailler. » Et puis elle a trouvé un emploi d’auxiliaire de vie. Aujourd’hui, alors qu’elle vient d’obtenir un logement, elle dit qu’elle se « sent bien ».

L’absence de réseau relationnel, le manque de connaissance de la langue et de reconnaissance des diplômes, le déclassement, etc., sont autant d’obstacles sur le chemin de l’emploi. « J’avais en Syrie une maîtrise de lettres arabes, raconte Elena. J’ai passé l’équivalence en France. J’ai essayé de trouver un emploi en rapport. Mais l’image des réfugiés est mauvaise. »

« Pas de véritable volonté politique »

Alors lorsqu’elle a vu une offre d’employée sur le site d’Action emploi réfugiés, elle s’est présentée et a obtenu un contrat à durée indéterminée. « Un CDI, cela veut dire qu’on me fait confiance », se console-t-elle. Elle s’est inscrite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et fait « beaucoup de bénévolat ». Son mari, lui, n’a pas trouvé de travail en France. Il doit apprendre le français.

Il existe de nombreuses actions d’insertion professionnelle, mais elles sont dispersées et ne concernent qu’un nombre limité de personnes. « L’idée qu’il faut intervenir pour aider à insérer les réfugiés est tout à fait récente au ministère du travail [l’Etat a lancé en mai 2017 le programme 1 000 réfugiés], mais comme, aujourd’hui, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avec sa peur de “l’appel d’air” », ne veut pas valoriser pas cette idée, il n’y a pas de véritable volonté politique dans ce domaine », déplore le sociologue Jean-Claude Barbier, chercheur au CNRS-Paris-I. Combien de réfugiés sont en emploi ? Il n’existe pas de statistiques récentes.

Les associations jouent un rôle important. France Terre d’asile (FTA), par exemple, passe des accords de partenariats avec des entreprises pour offrir des emplois chez Zara, Uniqlo, Franprix…

« Bosseurs, motivés, capables de se débrouiller »

Les difficultés rencontrées mènent souvent les réfugiés à accepter le premier emploi qui se présente, dans les métiers dits en tension. D’autres tentent de réaliser leur rêve. Il a fallu deux ans à Reine Sohou pour obtenir la protection subsidiaire, accordée aux personnes ne pouvant bénéficier du statut de réfugié mais menacées dans leur pays. Elle a suivi pendant ce temps, en 2016, une formation en cours du soir, pour l’obtention du CAP petite enfance. Mais elle a finalement préféré travailler comme auxiliaire de vie, tout en se formant au métier. « Cela correspond plus à ce que j’aime, aider les gens. »

« Bosseurs, motivés, capables de se débrouiller », c’est ainsi que les réfugiés sont perçus par certains employeurs, souligne Mme Brahmbhatt. La présence de cette main-d’œuvre a provoqué « une mobilisation des employeurs », constate Pierre Henry, délégué général de FTA. Du Medef, notamment, qui a mis en place un groupe de travail et tente de mobiliser les entreprises sur ce sujet. Zara organise, par exemple, deux fois par an des sessions de recrutement de 15 jeunes en grande difficulté. En octobre 2017, l’opération concernait 5 Français et 10 réfugiés. Les personnes sélectionnées bénéficient d’une formation. Il ne s’agit pas « d’une démarche marketing, assure Jean-Jacques Salaün, directeur général d’Inditex France (dont fait partie Zara), mais d’un projet citoyen. Si les entreprises ne font rien, on va dans le mur. »

Même de toutes petites structures s’engagent, comme l’agence d’architecture Marie-Odile Foucras, qui emploie 26 personnes à Paris et à Lyon. Depuis six ou sept ans, la structure dispose d’un « poste d’accompagnement » qui tourne entre les salariés pour aider un jeune en difficulté. En 2017, Mme Foucras a décidé de créer un autre poste, cette fois destiné à un réfugié qui aurait déjà une formation d’architecte : « Un des intérêts d’être chef d’entreprise, c’est de pouvoir aider. »