Quand on vit dans la rue, on est obligé de garder en permanence avec soi tout un tas de documents administratifs : papiers d’identité, carte de séjour, attestation d’accès à l’aide médicale d’Etat… La perte des documents est courante chez les personnes sans toit, avec des conséquences préjudiciables puisque près d’un quart n’ont pas recours à leurs droits.

Pour répondre à ces difficultés, l’association Reconnect, membre du groupe d’action sociale SOS, a créé en 2016 le « cloud solidaire ». La plate-forme fonctionne comme un « drive » classique où une personne sans abri peut ouvrir un espace personnel avec l’aide du travailleur social qui l’accompagne, et y scanner ses papiers. Elle dispose d’un droit d’accès qu’elle peut partager, en totalité ou en partie, avec des travailleurs sociaux. Il est ainsi plus facile de retrouver les documents nécessaires lorsqu’il faut monter un dossier de demande d’aide ou de logement.

Certificats de conformité

Mais comment certifier l’information dans un espace collaboratif dont plusieurs personnes partagent les accès ? Pour sécuriser ces interactions, Reconnect vient de lancer un partenariat avec Blockchain Partner, une start-up française spécialisée dans l’accompagnement vers la blockchain. Cette technique utilisée à l’origine par la cryptomonnaie bitcoin, repose sur un réseau décentralisé sans organe de contrôle. Les informations sont stockées sur une multitude de serveurs, ce qui évite le risque de piratage.

« En utilisant la “blockchain” sur le “cloud solidaire” comme cadre de confiance, on s’assure que le document n’a pas été modifié et l’on peut produire ainsi des certificats de conformité », explique Antoine Yeredzian, cofondateur de Blockchain Partner qui travaille plutôt habituellement avec des banques.

Depuis six mois, les personnes hébergées en hôtel social peuvent ainsi télécharger directement sur leur espace personnel un formulaire d’hébergement depuis le site du SAMU social. « Cela leur évite de passer des heures au téléphone pour un simple certificat, car le 115 est souvent saturé, précise Vincent Dallongeville, cofondateur du « cloud solidaire » Reconnect. La possibilité de garantir l’authenticité de ces documents va faciliter l’accès aux droits des personnes sans abri. »

Pour Samuel Nolla, hébergé ce mardi de décembre dans un gymnase ouvert par la Ville de Paris dans le cadre du dispositif « Grand Froid », le cloud solidaire « est surtout utile en cas de vol. Dans la rue, on se fait tout voler, c’est compliqué ». De son côté, Anaïs Delalande, assistante sociale et coordinatrice du gymnase, y voit un outil d’insertion. « L’an dernier, on avait un public en cours de réinsertion professionnelle et on l’utilisait beaucoup ».

Dynamique d’insertion

Au centre d’accueil pour la réduction des risques des consommateurs de drogue, dans les quartiers nord de Marseille, Lionel Olivier, éducateur, propose « systématiquement le cloud Reconnect à tous les jeunes » qu’il accompagne. « Ils peuvent y déposer une pièce d’identité, un relevé d’identité bancaire, une attestation de carte vitale. Ils sont avertis par SMS si nous le consultons », explique le travailleur social, qui y voit « un facteur de responsabilisation et de stabilité, car la perte des papiers peut stopper la dynamique d’insertion. »

Outre le SAMU social de Paris, Reconnect travaille avec Emmaüs et des structures du groupe SOS. Avec quatre salariés et un budget de 200 000 euros, l’association s’interdit toute exploitation commerciale de la donnée. Son modèle économique repose sur la vente aux organismes sociaux de licences d’utilisation, dont le prix varie en fonction du budget de l’établissement. Elle reçoit aussi des subventions publiques et une dotation de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) pour la solidarité numérique.