Lionel Zinssou (à gauche) et Crlos Lopes sur le plateau du Club du Monde Afrique, le 15 décembre 2017. / Jean-Luc Luyssen

Invité du premier rendez-vous du Club du Monde Afrique, vendredi 15 décembre, Lionel Zinsou, banquier d’affaires et candidat malheureux à la présidence du Bénin en 2016, a déploré la tournure prise par le débat sur le franc CFA : « idéologique », « populiste » il va « contre une certaine rationalité » et au final occulte la vraie question qui est : comment « faire beaucoup mieux dans le financement du développement » du continent.

A ses côtés, Carlos Lopes, ancien secrétaire général de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique et aujourd’hui professeur à l’université du Cap, réagissait aux propos d’Emmanuel Macron sur la réforme de la zone franc, tenus lors de son déplacement fin novembre au Burkina Faso. Le chef de l’Etat français s’était montré ouvert à une discussion sur le périmètre de cette monnaie commune à quinze pays ainsi que sur son nom chargé du poids du passé colonial. Mais plus que d’accabler le franc CFA de tous les maux, M. Lopes a surtout pointé la responsabilité des dirigeants africains dans l’inefficacité de cette monnaie qui « a contribué à la stabilité mais n’a pas permis la transformation des économies. »

Le franc CFA : "Boulet" ou garantie de sécurité pour la zone Franc ?
Durée : 04:08

  • Un débat marginal et idéologique ?

« Il est faux de dire que les populations africaines veulent l’abandon du franc CFA. Il n’y a pas de marché noir des devises ni de fuite devant la monnaie qui, seule, pourrait incarner une véritable défiance » à l’égard du CFA, affirme Lionel Zinsou pour discréditer les anti-CFA dont l’un des représentants, Kako Nubukpo, vient d’être débarqué de son poste de directeur de la francophonie économique à l’Organisation internationale de la Francophonie.

Les quelques centaines de personnes qui ont défilé dans les rues ces derniers mois ne font pas « des manifestations de masse », selon l’ancien premier ministre béninois qui accuse volontiers les médias d’amplifier une opposition qui ne serait en réalité que marginale. « Il s’agit d’une opposition anti-impérialiste, populiste, qui est peut-être légitime politiquement mais n’a aucun rapport avec le vrai débat qui est celui de comment mieux financer le développement ». M. Zinsou refuse ainsi de répondre à ce qu’il juge comme des slogans :

« Ce n’est parce qu’il y a des gens qui manifestent dans les rues en disant que la terre est plate et menacent de vous brûler sur un bûcher parce que vous pensez qu’elle est ronde qu’il faut entrer dans ce genre de faux débat et d’absurdité »

Carlos Lopes, tout en déplorant un débat trop idéologique, se montre bien plus tolérant sur ces manifestations qui « sont bienvenues pour réclamer une réforme du CFA ».

  • Une monnaie qui profite surtout à la France ?

Les deux économistes ont tordu le cou à l’idée que la France, en détenant 50 % des réserves de change des pays de la zone franc, en tirerait d’importants bénéfices. « Il est juste risible de penser qu’il y aurait en France une sorte de trésor caché » a ironisé Lionel Zinsou. « Ces réserves représentent entre deux et quatre mois d’importations des pays de la zone » et « le franc CFA ne favorise nullement une fuite des capitaux. La balance des paiements de la zone est excédentaire ».

En rappelant que la zone franc représente 3 % des échanges de la zone euro, Carlos Lopes a également écarté l’idée que la France « gagne de l’argent avec le CFA », et a plutôt fustigé « la paresse des acteurs africains » dans la gestion de leur monnaie pour expliquer les critiques qui visent le CFA.

« Beaucoup de responsabilité revient aux dirigeants africains. Le système actuel offre une flexibilité qui n’est pas utilisée. »
  • Changer de périmètre, changer de nom

La redéfinition du périmètre de la zone franc a été évoquée par Emmanuel Macron parmi les pistes de réformes possibles. Pour Lionel Zinsou, il est dans la nature des zones monétaires « d’évoluer tout le temps », et cela n’est pas propre à la zone franc, a-t-il expliqué en citant les débats agités de la zone euro. Des pays comme la Guinée ou la Mauritanie ont quitté la zone, d’autres ont fait des allers-retours comme le Mali.

Carlos Lopes juge en revanche cette question presque déjà obsolète puisque les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) se projettent dans la création d’une monnaie commune à l’horizon 2030. « Le CFA va disparaître. Ils [les gouvernements de la zone] sont déjà en train de discuter de [son] effacement. Dans cette perspective, le vrai sujet est le poids du Nigeria, qui représente 75 % des économies de la zone, et celui de sa monnaie. »

L’ancien secrétaire général de la Commission économique pour l’Afrique juge que symboliquement, il serait cependant souhaitable de débaptiser sans attendre le franc CFA. Lionel Zinsou n’en voit pas l’intérêt.