Un jeune homme se repose à l’hôpital de Briançon, le 11 décembre, après avoir été secouru dans les Alpes alors qu'il tentait de rejoindre la France depuis l'Italie avec d'autres jeunes migrants. / Bruno Fert pour "Le Monde"

A l’occasion de la journée internationale des migrants, la spécialiste des questions de migrations, au Monde, est revenue sur le plan migrants annoncé en juillet par le gouvernement et sur les difficultés rencontrées par les exilés.

Matthieu G. : Les associations ont-elles été consultées sur ce plan ?

Maryline Baumard : Le gouvernement Philippe a annoncé dès le 12 juillet un plan sur les migrations, sans aucune concertation. Les associations ont demandé de nombreuses fois l’ouverture d’une discussion. En vain à nouveau. Cela a abouti le 8 décembre à un coup d’éclat : la grande majorité des associations qui s’occupent de l’accueil des migrants a claqué la porte d’une réunion avec les ministres Gérard Collomb (intérieur) et Jacques Mézard (cohésion des territoires).

JBA : Qui porte la politique migratoire au sein du gouvernement ? Il me semble que Gérard Collomb avait été plus ou moins contredit par Emmanuel Macron en juillet, mais la ligne dure a depuis été reprise…

Maryline Baumard : Vous avez raison de suggérer que c’est le ministère de l’intérieur qui a la main. Ce n’est pas tout à fait nouveau, cette prise en charge par la Place Beauvau datant de l’ère Sarkozy. Cela dit, le glissement est de plus en plus manifeste et la volonté du ministère de l’intérieur de contrôler les centres d’hébergement d’urgence est une première dans l’histoire du pays. Pour le petit jeu politique entre Beauvau et l’Elysée, je pense que ces deux approches sont nécessaires. J’ai envie de dire « seraient » nécessaires… En fait, Emmanuel Macron parle et Gérard Collomb agit. Jusqu’à présent, le premier ministre n’intervenait pas sur ce sujet. Mais, cette fois, inquiet que les associations aient claqué la porte du ministère de l’intérieur, Edouard Philippe va recevoir et écouter les doléances.

Bri : Les migrants qui sont en France veulent-ils rester ou repartir ?

Maryline Baumard : Il faut distinguer ceux qui auront l’asile et ceux qui ne l’auront pas. Les Syriens, qui obtiennent à 99 % le statut de réfugiés, rêvent de rentrer dans leur pays dès que la situation le leur permettra. Même chose pour les Soudanais, qui ne peuvent pas le faire tant la situation du Darfour est difficile. Il y a bien évidemment aussi, dans les entrées, des migrants économiques, qui ne peuvent subvenir à leurs besoins chez eux. On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur.

Bernard : L’aide aux migrants est-elle autorisée par la loi ?

Maryline Baumard : Le sujet est complexe. On peut aider un demandeur d’asile ou un mineur reconnu comme tel. Ces personnes sont autorisées à résider en France. Le sujet est plus délicat pour celles qui n’ont pas de statut. Les citoyens solidaires poursuivis ont souvent aidé des exilés qui souhaitaient déposer l’asile, mais ne l’avaient pas encore fait et n’étaient donc pas légalement sur le territoire. En outre, il y a une tendance aujourd’hui à poursuivre ceux qui aident sous couvert d’autres motifs que « l’aide à l’entrée et au séjour ». Souvenons-nous du prêtre auquel on avait reproché d’avoir hébergé des demandeurs d’asile dans des locaux non conformes !

Victor : Qui décide d’envoyer les forces de l’ordre démanteler les campements, confisquer les tentes et les couvertures ?

Maryline Baumard : La consigne du ministère de l’intérieur est d’éviter la reconstitution de campements. Je ne suis pas dans le secret de ce qui se dit dans les compagnies de CRS, mais je vois ce qui se produit sur le terrain. Nous avons été témoins la semaine dernière avec un photographe, à Calais, de la confiscation des couvertures et des affaires personnelles de migrants qui dormaient sous un pont. C’était au petit matin, il ne faisait pas dix degrés… J’observe sur le terrain les conditions dans lesquelles la France accueille les migrants. Le terrain ne ment pas. Il y a des gens qui risquent de mourir de froid, il y a de l’indignité choquante dans la manière dont la cinquième puissance économique reçoit les entrants.

Ce qui est dramatique, c’est qu’on est dans une continuité. Les gouvernements changent et les pratiques perdurent. On peut objecter que la gauche est très mal en point, mais je pense aussi qu’elle est mal à l’aise parce qu’il se passait des choses assez similaires sous le quinquennat précédent… Je suis tout de même étonnée que les députés de La République en marche ne soient pas quelques-uns à faire entendre leur voix sur ce sujet.

Zuiplap : La France pourrait-elle être condamnée pour ces mesures ?

Maryline Baumard : Sur de nombreux points, la France pourrait en effet être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Reste que les délais sont tels devant cette juridiction qu’on ne le saura que bien plus tard. Les politiques le savent. Ce qui a le plus de poids aujourd’hui, notamment à Calais, ce sont les décisions du Conseil d’Etat. On peut ajouter que les prises de parole du Défenseur des droits limitent les atteintes à la dignité.

Manu2017 : Que fait-on de ceux qui sont entrés sur le territoire national légalement, avec un visa ?

Maryline Baumard : Vous avez raison de dire que le premier mode d’entrée n’est pas le passage par la Roya ou Briançon, mais par avion avec visa de courte durée. La France veut rester un pays touristique et doit doser les visas à l’aune de cet objectif… Combien sont les sans-papiers ? Il y a quelques semaines, Gérard Collomb a donné le chiffre de 300 000. Ils étaient généralement estimés entre 200 000 et 400 000. Ce sont des gens qui ne font pas parler d’eux, travaillent au noir ou sous une autre identité.

Marc A : Quel budget est consacré aux migrants ?

Maryline Baumard : La réponse va dépendre de l’échelle de temps sur laquelle on se place. Si on regarde à un instant T qui est celui des arrivées, il est évident que cela a un coût pour le pays. Mais il faut évidemment se projeter et regarder à moyen terme. Or, tous les économistes constatent que les migrants « rapportent » plus qu’ils ne coûtent. Ce sont des jeunes qui ont une obligation de travailler pour envoyer de l’argent à leur famille et qui ont une volonté de refaire leur vie. Il faudrait se demander pourquoi on a aussi peu entendu le patronat depuis le début de ce qu’on appelle couramment la « crise » migratoire. En fait, les migrants apportent une main-d’œuvre pas chère qui permet de faire tourner des secteurs entiers de l’économie. C’est un tabou, mais c’est bien réel !

Greg : Que faire face aux migrants qui se prétendent mineurs alors que certains ont dépassé la trentaine ?

Maryline Baumard : Pour un « mineur » trentenaire, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de migrants très jeunes que les départements refusent de prendre en charge. Cette opposition entre mineurs et majeurs se pose davantage en France qu’ailleurs parce qu’il y a ici un fossé énorme entre la prise en charge d’un enfant par l’aide sociale à l’enfance et celle que l’Etat offre – ou n’offre pas – aux adultes. Reste que la prise en charge des mineurs va être revue car elle ne fonctionne pas. C’est d’autant plus ennuyeux que les Africains arrivent de plus en plus jeunes. Les familles intègrent que c’est de plus en plus difficile d’être reconnu mineur et envoient les plus malins d’entre eux vers le nord. Pas forcément vers l’Europe mais, une fois qu’ils sont au Niger ou en Libye, on connaît la suite : la traversée vers l’Europe devient une question de survie.

Interrogatif : La seule solution réaliste n’est-elle pas d’accueillir tous ceux qui le souhaitent ?

Maryline Baumard : Des chercheurs travaillent aujourd’hui sur les effets d’une ouverture des frontières. Cela existe d’ailleurs dans certaines zones d’Afrique et d’Amérique du Sud. Le point intéressant à noter, c’est qu’une ouverture permet des retours vers le pays d’origine. Elle fluidifie les passages et ne bloque pas dans le pays d’exil. Politiquement, le sujet est absolument tabou, mais il ne faut pas oublier que la planète a vécu des années sans passeport…

A Briançon, la survie des migrants passés par la montagne