Manifestation lundi 18 décembre contre le nouveau gouvernement autrichien à Vienne où l’extrême droite a obtenu plusieurs postes régaliens. / JOE KLAMAR / AFP

La Pologne, la Hongrie, l’Autriche, et, plus récemment, l’Allemagne… Dans toute l’Europe, notamment en Europe de l’Est, l’extrême droite monte en puissance, voire se retrouve au pouvoir, principalement par le biais d’une coalition. C’est le cas vendredi 15 décembre à Vienne, où un accord de gouvernement entre la droite et l’extrême droite autrichienne a été présenté.

Dans le week-end, des dirigeants de partis d’extrême droite européens, dont Marine Le Pen et le néerlandais Geert Wilders, se sont réunis à Prague, suscitant des manifestations de groupements de gauche. Mercredi 20 décembre, les commissaires européens doivent aborder la possibilité d’engager des procédures pour sauvegarder l’Etat de droit, menacé en Pologne.

Pour Anaïs Voy-Gillis, membre de l’Observatoire européen des extrêmes et doctorante à l’Institut français de géopolitique, cette « banalisation » de l’extrême droite laisse l’Union européenne relativement impuissante et l’appelle surtout à « se remettre en cause » face à cette « manifestation de défiance généralisée » des citoyens, notamment envers l’Europe.

Comment expliquer cette montée de l’extrême droite en Europe de l’Est ?

Il faut d’abord l’intégrer dans un contexte historique plus long. Cette mutation du paysage politique s’opère depuis le début des années 2000, où les partis qui défendent des idées souverainistes, populistes, eurosceptiques, voire racistes, réalisent de bons scores en Europe de l’Est, mais aussi en France, en Angleterre avec le « Brexit » ou encore en Italie lors des dernières élections municipales à Rome [la candidate du Mouvement 5 étoiles, Giuliana Di Pillo, affrontait l’extrême droite et un candidat fasciste.]

Trois facteurs permettent d’expliquer cette montée de l’extrême droite. Elle repose d’abord sur une crise de la représentativité. En Pologne, les citoyens ont été très déçus de la démocratie libérale, qui a été marquée par de nombreux scandales de corruption. En Autriche, les deux mêmes partis se succèdent au pouvoir depuis plus de cinquante ans, et ne recueillent plus la confiance des citoyens. Il y a un phénomène de rejet généralisé, qui se manifeste par une envie des citoyens de tester d’autres partis, dont les discours portent un semblant de renouveau.

Ensuite, l’Europe a été touchée très massivement par une crise des migrants, et l’on constate un rejet de l’islam et de l’immigration. Enfin, les citoyens ont le sentiment que leur pays est dépossédé de son attribut de souveraineté, au profit d’entités comme la finance. Ce sentiment que les nations ne sont plus maîtresses de leur destin pousse à un vote souverainiste incarné par les partis d’extrême droite.

Comment se traduit ce vote en faveur des extrêmes ? Quelles sont les principales mesures prises par les gouvernements ?

Cette montée de l’extrême droite en Europe de l’Est est protéiforme. En Hongrie, l’extrême droite n’est pas au pouvoir, mais en embuscade. En Pologne, le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) est au pouvoir. Dans les deux pays, on constate une remise en cause de l’Etat de droit, qui s’exprime par des réformes constitutionnelles d’ampleur, comme celle sur la séparation des pouvoirs [le PiS a fait adopter, début décembre, la refonte à la fois du Conseil national de la magistrature, chargé de la nomination et de la déontologie des juges, et de la Cour suprême]. On constate également une remise en cause de la liberté des médias. Autant de mesures qui caractérisent un régime autoritaire.

Certains pays procèdent également à une révision des politiques migratoires. L’Autriche, quand elle prendra la présidence de l’Union européenne le 1er juillet, ira dans ce sens, tout en durcissant les conditions d’accueil des migrants sur le plan national. Ces orientations politiques font craindre l’émergence d’une Union européenne des opportunismes, ou chaque pays va prendre dans l’UE ce qui l’intéresse. Ces pays défendent un retour de la souveraineté des nations qui est antinomique avec la ligne défendue par la majorité des membres de l’Union, comme Emmanuel Macron, qui souhaite une Europe fédérale.

Justement, comment l’Europe réagit face à cette montée des extrêmes ?

Si on refait un historique, en 2000, en Autriche, quand le Parti de la liberté (FPÖ, extrême droite) est entré en coalition [avec les conservateurs], cela avait suscité une levée de bouclier. L’Union européenne avait décrété des sanctions, décidant d’interrompre tout contact bilatéral avec le nouveau pouvoir, de limiter le rôle de ses ambassadeurs et de priver de soutien les candidats autrichiens à des postes dans les organisations internationales.

Aujourd’hui, l’Union est relativement impuissante face à cette situation. Elle a dû mal à sanctionner la Pologne et la Hongrie. Elle est impuissante de part ses règles, qui établissent que pour décider de sanctions elles doivent faire l’unanimité. Ce qui est impossible. S’agissant des discussions sur la Pologne, il s’agit donc plus de menaces, mais cela n’aboutira pas à de sanctions aussi importantes que ce que le discours laisse présager.

D’autre part, il est compliqué pour l’UE de faire face à des pays non démocratiques, mais qui ont été élus démocratiquement. Ce serait remettre en cause la souveraineté d’un peuple.

Quelles sont les conséquences, notamment géopolitiques, de cette montée des extrêmes en Europe ? Comment se positionnent les différents pays de l’Union ?

Il y a une sorte d’acceptation des principaux pays face à cette montée de l’extrême droite. Il n’y a pas de véritable prise de distance – cela change la donne seulement lorsque ces pays se rapprochent de la Russie.

Nous sommes dans une Europe du consensus et de l’apaisement, où l’on ne veut pas mettre les pieds dans le plat. Si on commence à exclure certains pays de l’Union, cela risque de provoquer son éclatement. Les partis d’extrême droite, qui sont en train de progresser, remettent en cause l’UE. Quand les citoyens adhèrent à ces programmes, ils envoient un signal à l’Europe, ils disent ce qu’ils veulent pour demain. Et cela constitue un nouveau défi pour l’Union, qui va devoir se questionner sur son projet.