Bernard Tapie en 2013. / FRED DUFOUR / AFP

Il y aura un procès pénal sur l’arbitrage qui a permis à Bernard Tapie de toucher 404 millions d’euros en 2008 pour régler son litige avec le Crédit lyonnais.

Selon les informations du Monde, les juges d’instruction Serge Tournaire et Claire Thépaut ont décidé, au terme d’une instruction de plus de cinq ans, de renvoyer six personnes devant le tribunal correctionnel dont le principal protagoniste, Bernard Tapie, ainsi que son avocat historique, Maurice Lantourne, et l’ancien directeur de cabinet de la ministre de l’économie Christine Lagarde, Stéphane Richard, aujourd’hui président-directeur général d’Orange. Une décision conforme aux réquisitions du parquet de Paris.

Figurent aussi parmi les personnes renvoyées, le magistrat Pierre Estoup, qui fut l’un des trois juges arbitres de l’affaire, l’ancien directeur du Consortium de réalisation (CDR) Jean-François Rocchi et enfin Bernard Scemama, l’ancien président de l’Etablissement public de financement et de restructuration (EFPR), l’autre entité alors chargée, avec le CDR, de gérer les dettes du Crédit lyonnais. Tous sont renvoyés pour escroquerie et détournement de fonds publics comme auteurs ou complices ; des infractions passibles de dix ans de prison. Claude Guéant, qui avait été placé sous le statut de témoin assisté au cours de l’enquête, n’est pour sa part pas renvoyé devant le tribunal.

C’est une nouvelle étape dans cette affaire aux multiples rebondissements qui trouve son origine dans la vente, en 1993, d’Adidas par Bernard Tapie au Crédit lyonnais pour un peu plus de 2 milliards de francs (l’équivalent de 318 millions d’euros). L’homme d’affaires a toujours clamé qu’il avait été lésé par la banque qui avait revendu la société Adidas deux ans plus tard à l’industriel Robert Louis-Dreyfus pour 4,65 milliards de francs (670 millions d’euros). Pour M. Tapie, le Crédit lyonnais avait déjà engagé des négociations avec l’industriel quand il lui a racheté la marque aux trois bandes et cela, à son insu. Une thèse démentie depuis par les investigations policières menées dans le cadre de l’enquête pénale.

C’est à la faveur de ce conflit que Bernard Tapie avait d’abord obtenu une décision favorable en 2005, finalement annulée par la Cour de cassation. Les deux parties décidaient alors de recourir à la justice privée par le biais de la procédure d’arbitrage, une procédure ayant permis d’octroyer 404 millions d’euros à M. Tapie, en juillet 2008. Mais l’enquête pénale s’est attachée à décortiquer cette décision, et la justice est arrivée à la conviction qu’elle n’avait pas été choisie pour défendre les intérêts de l’Etat.

En décidant de renvoyer devant le tribunal six personnes ayant contribué à mettre en place cette procédure, les magistrats ont donc considéré, comme cela est apparu au cours de leur enquête, que l’arbitrage n’était en fait qu’un simulacre biaisé au profit de Bernard Tapie. Leurs investigations ont notamment mis en lumière les relations entre Pierre Estoup, l’un des arbitres, et Maurice Lantourne, qui avaient travaillé ensemble sur plusieurs dossiers dans le passé.

La restitution de l’argent public en question

L’enquête a aussi permis de s’interroger sur le rôle de Nicolas Sarkozy, qui a reçu Bernard Tapie à de nombreuses reprises, comme en ont témoigné ses agendas saisis par la justice, mais n’a jamais souhaité s’expliquer dans le cadre de la procédure, arguant de son immunité présidentielle. M. Sarkozy avait par ailleurs eu à connaître le contentieux qui opposait M. Tapie et le Crédit lyonnais avant son accession à l’Elysée, alors qu’il était ministre de l’économie, courant 2004. M. Tapie avait pour sa part soutenu Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2007.

Toujours est-il que les services de l’Etat, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, ont fait montre d’une volonté farouche pour soutenir la solution arbitrale et sortir du litige entre le Crédit lyonnais et Bernard Tapie. Et ce, malgré des avis défavorables de l’administration.

La ministre de l’économie de M. Sarkozy, actuelle directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, a depuis été condamnée par la Cour de justice de la République pour avoir agi avec négligence, en s’impliquant personnellement sur ce dossier, ignorant notamment l’avis défavorable de l’Agence des participations de l’Etat (l’APE).

Quant à l’argent public perçu par M. Tapie, il a été condamné à le rendre. Le 17 février 2015, la cour d’appel de Paris avait estimé que la sentence arbitrale prononcée en faveur de M. Tapie était entachée de « fraude » et avait ordonné la rétractation du jugement arbitral.

Une décision validée en juin 2016 par la Cour de cassation, qui précisait alors qu’« une somme qui a été payée en exécution d’une décision de justice ou d’une sentence arbitrale qui a été ensuite rétractée doit être restituée ». Reste à préciser comment et dans quels délais, alors que le parquet de Paris a fait appel d’une décision du tribunal de commerce autorisant M. Tapie à étaler sur six ans le remboursement de sa dette.