En 1929, deux génies du cinéma se rencontrent à Hollywood. L’Allemand Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu le vampire, 1922 ; L’Aurore, 1927), installé aux Etats-Unis, et l’Américain Robert Flaherty, père présumé du documentaire de création (Nanouk l’Esquimau, 1922 ; L’Homme d’Aran, 1934). Rapprochement non fortuit, les deux hommes s’accommodant aussi mal l’un que l’autre des manières hollywoodiennes, qui mettent les artistes sous tutelle.

Forts de l’expérience polynésienne de Flaherty (le cinéaste a passé un an à Samoa pour y tourner Moana), les deux hommes s’associent dans la production et la réalisation de Tabou, trouvent une petite maison de production, prennent le bateau et larguent les amarres. Rien ne va se passer comme prévu. Les deux auteurs écrivent l’histoire ensemble, mais divergent avec la maison de production, avant de diverger entre eux. Murnau conduira seul ce tournage, en y mettant ses économies et en le finissant essoré.

Quelques semaines après le tournage et quelques jours avant l’avant-première du film, Murnau, en Californie, se fait conduire en voiture afin de rendre visite à un ami, et meurt tragiquement dans un accident. Une voyante l’aurait dissuadé de prendre la voiture, et il se murmure que la transgression de sanctuaires polynésiens a trouvé là son tragique dénouement. Le cinéaste a 42 ans ; Tabou sera son dernier film, c’est un chef-d’œuvre.

Une élégie sur le paradis perdu

Sur l’île de Bora-Bora, étincelant paradis primitif, un jeune couple amoureux, Matahi et Reri, crée le scandale. Reri, d’ascendance royale, est destinée à la virginité et aux dieux. La jeune vestale ne l’entend pas de cette oreille et fuit avec son amant sur une autre île, colonisée par les Français, cosmopolite et dégradée par les usages du commerce, où Matahi gagne sa vie comme pêcheur de perles.

Mais ils sont rattrapés par un vieux guerrier qui les poursuit, et la tradition finit par avoir cruellement raison de leur émancipation. Ultime image d’une corde de bateau qui se coupe entre l’amant qui nage et le bateau qui lui enlève sa raison de vivre, mélodrame muet en noir et blanc nacré, élégie vibrante sur le paradis perdu, éclat de romantisme allemand planté dans le rivage polynésien, chant du cygne d’un des plus formidables rêveurs éveillés du cinéma, Tabou est à tous égards inoubliable.

La présente édition du DVD ajoute à celle déjà existante la qualité Blu-ray

La présente édition du DVD ajoute à celle déjà existante la qualité Blu-ray, mais aussi, il convient de le souligner tant ce précieux travail se raréfie, un copieux appareillage critique. Au très beau documentaire d’Yves de Peretti, Tabou, dernier voyage, consacré à la genèse du film s’ajoute un long entretien avec Bernard Eisenschitz, fin connaisseur du cinéma allemand, qui resitue Murnau dans le contexte cinématographique de l’époque et précise les enjeux de Tabou ainsi qu’une partie de pêche polynésienne extraite des rushes non montés du film.

On y trouve, aussi, un livret, qui produit plusieurs textes passionnants, parmi lesquels une lettre écrite durant son voyage et son tournage par Murnau à ses proches, ainsi qu’un texte d’Yves de Peretti qui évoque les origines et le destin singulier de Reri, fille d’un Français et d’une Tahitienne, vive adolescente polynésienne fourvoyée à Hollywood.

Murnau's TABU (Story of the South Seas) Masters of Cinema Trailer
Durée : 02:42

Tabou, une histoire des mers du Sud (1931), de F. W. Murnau. 1 DVD, 1 livret de 48 pages, Potemkine, 19,90 euros. Sur le Web : www.potemkine.fr/Potemkine-fiche-film/Tabou/pa11m5pr1642.html