Une agence d’intérim à Nantes (Loire-Atlantique), le 23 novembre 2017. / LOIC VENANCE / AFP

Il y a un paradoxe à gérer les ressources humaines d’une entreprise et enchaîner soi-même les missions en intérim. Sarah (elle préfère rester anonyme) en sait quelque chose. Installée dans la région toulousaine, elle travaille pour un grand groupe de l’aéronautique. « On m’a clairement dit que la plupart des cadres recrutés dans l’entreprise passaient par l’intérim et que, si tout allait bien, je serais recrutée. » Cinq ans plus tard, la trentenaire attend toujours. « Quand des CDI viennent pleurer dans mon bureau, je fais ce que je peux. C’est le monde à l’envers », ironise-t-elle.

La jeune femme peut, faute de mieux, se féliciter d’appartenir à une catégorie professionnelle en plein boum, celles des cadres en intérim. Ils ne forment que 12 % des cohortes de travailleurs temporaires, mais leur nombre croît plus vite que la moyenne du secteur. Ce dernier a connu en 2017 une année record : 9,2 % de croissance des « équivalents temps plein », soit à peu près 630 000 personnes en activité, selon les estimations de l’organisation professionnelle Prism’emploi. Ouvriers de l’industrie, du bâtiment et logisticiens forment toujours l’écrasante majorité des troupes. Mais les cadres, environ 40 000, sont 12,5 % plus nombreux que l’an passé.

« On peine à satisfaire les besoins »

« Le phénomène existe depuis les années 1990. Pendant dix ans, les grandes boîtes ont ouvert des agences spécialisées pour concurrencer les PME familiales implantées en région. Puis cela s’est tassé. Maintenant, on est proche du pic de 2008 », souligne François Roux, délégué général de Prism’emploi. Reprise oblige, le mouvement s’est particulièrement accéléré ces deux dernières années.

D’après Alain Mlanao, directeur général de Walters People, agence de recrutement spécialisée dans les métiers du tertiaire, en 2017, la demande a massivement porté sur des postes d’assistants de direction, de data miners, capables d’extraire et d’analyser des données, et de responsables de la conformité, chargés de vérifier les opérations bancaires. Pour anticiper l’instauration du prélèvement à la source, les entreprises ont également sollicité des gestionnaires de paye. « En 2011, il fallait se battre pour placer des candidats. Aujourd’hui, on peine à satisfaire les besoins », assure le dirigeant.

Une flexibilité qui colle au « mode projet »

Les patrons d’agences le répètent à l’envi : la flexibilité de ces contrats colle au « mode projet », de plus en plus valorisé par les entreprises. C’est le cas, selon Christophe Bougeard, directeur général d’Expectra, des bureaux d’études et des services de développement informatique. Les missions ont l’avantage d’être plus longues : trois ou quatre mois en moyenne, contre deux semaines pour les autres intérimaires.

« J’ai 25 ans, être en intérim m’empêche de me projeter. Avec un CDI, je pourrai, enfin, commencer à vivre »

« A la fin de mon master, notre professeur nous a prévenus : “Ne soyez pas trop exigeants, il est de plus en plus difficile de trouver un CDI” », se souvient Guillaume Luneau, 32 ans, ingénieur en intérim chez Safran. Comme lui, Nathalie a apprécié de « se faire une première expérience pour pouvoir remplir son CV, et puis on est bien payé ». Seulement, dit-elle, « les inconvénients se font de plus en plus ressentir. J’ai 25 ans, être en intérim m’empêche de me projeter, je ne peux pas prendre d’appartement, prévoir de vacances… Avec un CDI, je pourrai, enfin, commencer à vivre. »

« C’est sûr qu’il vaut mieux être libéré financièrement », reconnaît Christine Bonhoure. Directrice des ressources humaines, elle a choisi de revenir vers l’intérim comme « manageuse de transition ». Associée aux fermetures d’usines pendant la crise, la profession s’est refait une réputation. « C’est une solution hybride entre le salariat et la posture d’entrepreneur », explique la DRH de 56 ans.