« Le plus difficile, c’est la première journée de retour », dit François Gabart. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Malgré ses quarante-deux jours, seize heures et quarante minutes en mer autour du monde, et son marathon médiatique depuis son arrivée, dimanche 17 décembre, à Brest, François Gabart semblait frais et dispo lorsqu’il s’est présenté mercredi au siège du Monde. Le navigateur, nouveau détenteur du record du monde du tour du monde en solitaire à la voile, a répondu à vos questions pendant près d’une heure.

Flo : Comment vit-on le retour à la civilisation après de longues semaines de solitude ?

François Gabart : C’est à la fois brutal parce que la transition est énorme. C’est à la fois confortable parce qu’on est plus habitué à la vie sur terre, on s’habitue plus facilement au confort terrestre qu’à l’inconfort du bateau.

Le plus difficile, c’est la première journée de retour. Il y avait des milliers de personnes à Brest, c’est très positif, très bienveillant, mais il est difficile de répondre à toutes les sollicitations.

J’aimerais aussi parler du confort terrestre. Ce qui est génial, c’est d’apprécier de petites choses de la vie terrestre qu’on oublie un peu : prendre une douche et se laver avec autre chose que des lingettes, manger sur une table qui ne bouge pas.

MétéoMonde : Y a-t-il d’énormes différences de températures en pleine mer pendant le tour de monde ?

François Gabart : On vit plusieurs saisons en un tour du monde. On part en hiver en Europe, on se retrouve rapidement dans l’alizé et très vite à l’Equateur où il fait très chaud : jamais moins de 30 degrés à l’intérieur du bateau. Très rapidement on se retrouve dans l’été austral, où on passe de 30 à 15 degrés en vingt-quatre heures.

C’est un peu comme ceux qui ont la chance de partir au chaud pendant les fêtes et qui partent de l’aéroport de Roissy ou d’Orly, et qui se retrouvent dans la chaleur étouffante d’une île vingt-quatre heures plus tard.

Je n’ai quasiment jamais souffert du froid pendant la navigation, on peut s’en protéger, il suffit d’empiler des couches de vêtements. Alors que la chaleur, tu es dévêtu, tu transpires. La peau est dans un milieu salin, hyperagressif, et ça commence à l’attaquer.

Tom : Au début de l’océan Indien, il y a eu un contact (visuel, heureusement !) avec un iceberg. Sur la vidéo, on sent bien que vous avez la boule au ventre. La présence de glace flottante à cet endroit était-elle une surprise totale, où aviez-vous des outils pour vous dire qu’il fallait être vigilant ?

François Gabart : Il s’agissait en fait de l’océan Pacifique, où je suis tombé nez à nez avec un iceberg, au sud de la Nouvelle-Zélande. C’est une vraie surprise, parce qu’on a justement des moyens de prévision de glaces, et on ne s’attendait pas à un tel glaçon ici.

On dispose d’images satellites qui permettent de voir les gros icebergs avec une résolution de 100 mètres, ceux qui font plus de 100 mètres de largeur ou de longueur.

Dans cette fameuse zone, il n’y avait aucun gros iceberg repéré, ce qui n’était pas forcément le cas plus tôt dans l’océan Indien, où on est passé à côté de gros icebergs de plus de 100 mètres.

En mer, on regarde beaucoup la température de l’eau : la durée de vie d’un iceberg en dépend directement. C’est comme un glaçon dans l’eau : plus l’iceberg est petit, plus il va fondre vite. Sa surface de contact avec l’eau par rapport à son volume global est plus grande.

Même si on ne voit pas les plus petits icebergs par satellite, si on reste dans des eaux relativement chaudes, le risque est minime.

Ecolosensible : En mer, voyez-vous des animaux ? Ou des pollutions humaines (le fameux 7e continent) ?

François Gabart : Assez paradoxalement, je n’ai croisé aucun animal marin, si ce n’est des poissons volants qui viennent sauter sur le bateau. C’est comme la maille d’un filet : le « trampoline » entre les flotteurs retient les plus gros poissons, que je remets à l’eau pour ceux qui sont encore vivants. Je n’en ai jamais mangé : d’ailleurs, apparemment, ce n’est pas le meilleur poisson dans l’assiette !

En revanche, on voit beaucoup, beaucoup d’oiseaux divers et variés, de différentes tailles, dont le plus spectaculaire est évidemment l’albatros. Cet oiseau me fascine : il a des qualités aéronautiques exceptionnelles, il est capable de voler pendant des heures sans battre des ailes et sans dépenser d’énergie, et même de dormir en volant. Lui aussi fait régulièrement des tours du monde, mais pour trouver sa nourriture. Tout en retrouvant son point de départ et son ou sa « partenaire » à la fin de son tour.

Pour ce qui est de la pollution, malheureusement, on voit des plastiques proches des côtes, mais aussi, parfois, au milieu des océans. Mais le pire, ce sont les microplastiques que les poissons ingèrent et que, par voie de conséquence, nous ingérons aussi quand nous mangeons ces poissons, on ne les voit pas. Les scientifiques nous prouvent pourtant que leur présence ne fait qu’augmenter…

Eureka : Ellen MacArthur a créé une fondation. De même, auriez-vous envie d’utiliser votre notoriété et vos qualités pour œuvrer à un monde meilleur ?

Je suis admiratif du parcours d’Ellen MacArthur, tant par son niveau sportif que par sa fondation d’économie circulaire, dont elle s’est fait une grande expertise. Je ne sais pas si je serais capable de faire ce qu’elle a fait avec autant de brio, mais évidemment que j’aimerais apporter ma contribution à la défense de l’environnement.

Dans les années qui viennent, les marins vont continuer à progresser et le record que j’ai établi va être battu. La seule limite, peut-être, à nos progrès sera la fonte de l’Antarctique à cause du réchauffement climatique. Ce qui pourrait nous empêcher de naviguer dans ces contrées dans les années qui viennent, avec une augmentation d’icebergs dans les mers du sud.

En soi, ce n’est pas très grave pour les marins, mais, évidemment, bien plus grave pour l’humanité dans son ensemble.

Clo : Une question toute simple : de quelles connaissances techniques (outre la capacité à naviguer) doit disposer un marin tel que vous ? (météorologie ? mathématique ?)

François Gabart : Le métier de marin est un métier touche-à-tout et très technique. Il faut être, en effet, capable d’intervenir dans des domaines très variés : électroniques, hydrauliques, composites, météo. Et même le journalisme, puisqu’il faut être capable de parler, de filmer et de faire partager ce qu’on vit.

Je considère que ces aventures extraordinaires qu’on a le privilège de vivre prennent vraiment du sens si elles sont partagées avec le plus grand monde. Sur Twitter, j’ai reçu des messages d’encouragement.

Même le musicien Ben Mazué, qui a lu l’une de mes chroniques sur Le Monde, m’a fait parvenir une vidéo poignante après avoir lu un texte dans lequel je disais que j’aimais écouter ses chansons à bord : en fait, il a carrément réalisé un medley pour moi, une reprise de titres de ses chansons qui évoquaient mon tour du monde en solitaire.

Karim de Rabat : Passez-vous beaucoup de temps sur le pont, à l’abri, dans la cabine ?

François Gabart : J’ai passé 98 % du temps dans le cockpit ou dans la cabine, c’est-à-dire protégé du vent et de la mer. Dans un espace, finalement, très confiné : selon la loi Carrez, ce serait même zéro mètre carré !

C’est grâce à cette configuration-là que l’on peut garder des vitesses élevées, jusqu’à 90 kilomètres à l’heure. En moyenne, je naviguais à 50 kilomètres à l’heure.

Sonho do Barlavento : Lorsque vous êtes amenés à dormir durant votre tour du monde, vous arrive-t-il de rêver ? Et si oui, vos rêves en mer sont-ils différents de vos rêves à terre ?

François Gabart : Le corps est capable d’encaisser des privations de sommeil importantes, mais le cerveau a besoin de pauses quotidiennes qui ne sont autres que les rêves : je dormais en moyenne entre trois et cinq heures fractionnées.

Même si l’on n’a pas ces quelques heures, les rêves viennent quand même sous la forme d’hallucinations. Le sommeil et le cerveau restent en partie des énigmes médicales.

En mer, je rêvais souvent de faire un sport qui implique la gravité, un sport de glisse où je descends, comme le ski, le parapente, le kayak. Je pense que le fait que le bateau glisse sur l’eau et qu’on passe du temps à surfer la vague n’y est pas étranger.