La Suédoise Zaida Catalan et l’Américain Michael Sharp ont été tués le 12 mars 2017 en République démocratique du Congo. / DR

Des agents de l’Etat congolais sont-ils impliqués dans le meurtre de deux experts de l’ONU abattus le 12 mars dans la province du Kasaï ? La question est très sérieusement posée depuis la publication, mercredi 20 décembre, d’une enquête réalisée par RFI et Reuters. Celle-ci s’appuie sur différents éléments, dont des relevés téléphoniques présents dans le dossier d’instruction mais non mentionnés au cours du procès ouvert en République démocratique du Congo (RDC). Plus surprenant, ces fadettes ne figurent pas non plus dans le rapport du comité d’enquête dirigé par l’ONU.

L’Américain Michael Sharp et la Suédoise Zaida Catalan, tous deux membres du groupe d’experts mandatés par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour surveiller notamment l’embargo sur les armes, avaient été assassinés alors qu’ils se rendaient à Bunkonde. Située dans le centre-sud de la RDC, la province du Kasaï-Central était alors en proie à des affrontements meurtriers entre les forces gouvernementales et la milice du chef coutumier Kamwina Nsapu, tué en août 2016.

Assassinat filmé par téléphone

Immédiatement après ce double assassinat, filmé sur un téléphone portable et largement diffusé sur les réseaux sociaux, le gouvernement congolais a ouvert une enquête. Il accuse encore aujourd’hui des miliciens insurgés d’être les responsables de la mort des experts onusiens. Le rapport du comité d’enquête mis sur pied par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, va également dans ce sens.

La vidéo de l’assassinat permet effectivement de distinguer quelques personnes. Notamment Evariste Ilunga, dit « Beau Gars », un milicien au front ceint d’un bandeau rouge. Dans les éléments de preuves amassés entre mars et mai par la justice militaire congolaise lors du dossier d’instruction, apparaissent le chef de milice Vincent Manga, jugé par contumace, et des figures de l’opposition. Mais l’enquête de RFI et Reuters, qui a nécessité neuf mois d’investigation, met également en cause quatre agents de l’Etat et affiliés : deux colonels de l’armée congolaise, un « informateur » de l’Agence nationale de renseignements (ANR) et un ancien agent.

« Des moyens matériels et humains »

« Le rapport de l’ONU indique que les miliciens insurgés filment et tuent les deux experts, probablement par cupidité, et ne va pas guère plus loin, explique Sonia Rolley, journaliste à RFI. Or les relevés téléphoniques du colonel Jean de Dieu Mambweni prouvent qu’il est en contact avec eux du jour de leur arrivée à Kananga jusqu’à la veille de leur mort. On le voit aussi communiquer avec les chefs provinciaux des services de renseignements… Trois agents de l’Etat et affiliés sont directement impliqués dans l’organisation de la mission qui a coûté la vie aux experts. Ils leur ont fourni les moyens matériels et humains pour se rendre à Bunkonde. Certains leur ont aussi menti sur les conditions de sécurité du lieu où ils se rendaient, comme le prouve l’enregistrement de Zaida Catalan lors d’une réunion la veille de sa mort. »

Depuis la mort des deux experts, la police suédoise n’a pas enquêté en RDC. Le parquet suédois a toutefois regretté, le 15 décembre, le manque de coopération du gouvernement congolais, sans exclure qu’il pouvait avoir une part de responsabilité dans la mort de Zaida Catalan. Côté américain, un responsable du département d’Etat minimise l’importance des conclusions du comité d’enquête, qu’il qualifie « d’évaluation interne ». « Nous allons continuer à faire pression sur les Nations unies afin qu’elles mènent une enquête complète et indépendante sur les meurtres », a-t-il confié à RFI.