L’envoyée spéciale du Monde à Barcelone, Sandrine Morel, a répondu, jeudi 21 décembre, aux questions des internautes alors que les Catalan·e·s votent encore (les bureaux de vote doivent fermer à 20 heures, les résultats définitifs devant être communiqués avant 22 heures). En voici les principaux extraits.

Baptiste : Que disent les derniers sondages ? Une poussée particulière de l’un des camps ?

Ces derniers jours, les sondages annonçaient une poussée d’ERC [Esquerra Republicana de Catalunya – « Gauche républicaine de Catalogne »] dans le camp séparatiste et de Ciudadanos dans celui des « unionistes », qui en pourcentage de voix arrivait devant la Gauche indépendantiste, mais pas en nombre de sièges, du fait de la loi électorale qui favorise la représentation du vote dans les zones rurales. Le bloc indépendantiste avait la majorité absolue en siège (pas en voix) dans plusieurs sondages.

belineen : Quels sont les scénarios possibles à l’issue des élections ?

Il est impossible de savoir ce qui va se passer et, même après les résultats, la possibilité de former un gouvernement n’est pas garantie. En effet, les deux principaux partis indépendantistes se présentent séparément et l’ancien président, Carles Puigdemont, en exil, n’est pas disposé, a priori, à permettre l’investiture de son rival Oriol Junqueras, de la Gauche républicaine – en prison préventive – si celui-ci en sortait.

De plus, ces deux partis ont renoncé à la voie unilatérale dans leur programme, alors que le parti de la gauche révolutionnaire CUP [Candidatura d’Unitat Popular – « Candidature d’unité populaire »] exige de continuer dans la voie de la désobéissance à Madrid.

Si les partis non indépendantistes l’emportent, il sera compliqué aussi de former un gouvernement, car la formation Catalogne en commun-Podem ne soutiendra pas le parti de centre droit Ciudadanos.

Le candidat socialiste, bien qu’en 4e position dans les sondages estime qu’il est celui qui a le plus de chances d’obtenir la majorité des voix au Parlement pour devenir le prochain président, s’il parvient à convaincre à la fois Podemos et Ciudadanos de le soutenir, dans le seul but d’éviter de nouvelles élections.

Ces scénarios sont tous improbables. Il est donc possible que ces élections aboutissent à un blocage et à la convocation de nouvelles élections dans six mois…

bobby38bcn : L’application de l’article 155 cesse-t-elle automatiquement quand un nouveau gouvernement sera constitué ? Ou Madrid peut-il exiger des garanties avant de lever sa mainmise ?

L’application de l’article 155 n’aura plus cours une fois qu’un nouveau gouvernement sera formé. Si Madrid veut le réappliquer, il faudra qu’il repasse le projet devant le Sénat, et cela n’aura lieu que si les indépendantistes défient la loi espagnole, ce qu’ils ont écarté.

Stef : Dans quelle mesure les résultats de cette élection peuvent-ils permettre la tenue d’un véritable référendum sur l’avenir de la Catalogne ?

Il est difficile de répondre à cette question. Le gouvernement espagnol n’est pas prêt à céder sur ce point. Il cherchera à tout prix à négocier avec les indépendantistes des avantages en termes de financement ou d’infrastructures avant d’en arriver là. Surtout si les indépendantistes ont la majorité absolue des sièges mais pas des voix, comme l’annoncent certains sondages.

Jacques Leclercq : Si on se dirige vers un scénario sans vainqueur à 50-50, ne serait-ce pas la consécration d’une troisième voie, celle d’une autonomie négociée entre Madrid et Barcelone que beaucoup appellent depuis le début de la crise ?

Effectivement, il semble indispensable que le gouvernement espagnol offre un projet politique pour l’Espagne et la Catalogne qui permette de faire baisser le niveau de mécontentement en Catalogne. Le fera-t-il ? Jusqu’à présent, Madrid a parié sur la reprise économique et le temps pour dégonfler le mouvement indépendantiste. Ce qui s’est révélé être une erreur. Mais M. Rajoy n’a donné aucune piste d’un changement d’opinion…

Geoffrey : Si les indépendantistes remportent la majorité absolue des sièges au Parlement catalan, Rajoy pourrait-il être contraint d’organiser un référendum d’indépendance – légal cette fois –, quitte à devoir modifier la Constitution espagnole ?

En aucun cas Mariano Rajoy n’est disposé à organiser un référendum d’indépendance. Il a déjà prévenu les indépendantistes que s’ils l’emportaient, ils devraient respecter la loi. Cependant, s’ils obtiennent la majorité absolue en sièges, c’est un camouflet pour M. Rajoy, qui sera sans doute soumis à une forte pression à Madrid. Les indépendantistes pensent qu’ils peuvent faire tomber son gouvernement.

Jean-Éd. : En cas de victoires des indépendantistes, quid des responsables politiques emprisonnés ou exilés ?

Les responsables politiques emprisonnés et exilés se sont dits convaincus qu’une victoire leur permettrait de sortir de prison et revenir d’exil. Cependant le processus judiciaire est indépendant du résultat électoral. Il est probable qu’après les élections, peu importe le résultat, ceux qui se trouvent en prison préventive soient libérés, car les risques de récidive auront disparu.

Quant à M. Puigdemont, s’il rentre, il sera conduit devant le juge qui devra décider s’il le place en détention préventive. Les urnes n’absolvent pas les délits, a coutume de dire Ciudadanos. Mais le candidat socialiste a déjà annoncé qu’il défendrait une grâce s’ils étaient condamnés.