Ciel gris, mines tristes, pas pressés et longues files d’attente. Devant les bureaux de vote de Barcelone, jeudi 21 décembre, avant même leur ouverture, à 9 heures, il y avait foule pour participer à ce que beaucoup de Catalans considèrent comme un scrutin « historique » et décisif. De nombreux électeurs ont voulu se rendre aux urnes dès la première heure, pour pouvoir reprendre leur travail rapidement, car exceptionnellement, les élections régionales se tiennent un jeudi, et non pas un dimanche.

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Tout, en réalité, rappelle que ce scrutin, organisé alors que la région est sous tutelle, est exceptionnel. De nombreux électeurs sont venus avec des écharpes jaunes, des rubans, des pulls ou des baskets de cette couleur, devenue le symbole du soutien aux dirigeants politiques emprisonnés ou actuellement en Belgique, accusés de « rébellion, sédition et malversation de fonds publics » pour avoir organisé le référendum illégal du 1er octobre et pour avoir proclamé l’indépendance de la République catalane.

Un nombre record d’assesseurs a été mobilisé pour que le processus électoral se déroule avec un maximum de garanties. Et les instituts de sondage s’attendent à une participation inédite, qui pourrait dépasser les 75 % enregistrés en 2015. A 18 heures, la participation était déjà en hausse de cinq points par rapport à celle de 2015, à 68 %. Or les analystes estiment qu’une forte participation pourrait bénéficier au camp hostile à l’indépendance, jusqu’à présent moins mobilisé.

« Je suis catalane mais je suis aussi espagnole »

A Sant Adria de Besos, dans la ceinture de Barcelone où réside une population majoritairement issue des vagues d’immigration des années 1950 et 1960 en provenance d’Andalousie et d’Estrémadure, Leia, 19 ans, est venue voter pour la première fois, mais elle hésite encore entre les socialistes ou le parti antinationaliste et « unioniste » Ciudadanos :

« Il est temps de faire entendre la voix des non-indépendantistes. J’ai trop eu le sentiment que je devais me cacher parce que je ne pense pas comme les indépendantistes, qui disent parler au nom du peuple catalan. Je suis née ici, même si j’ai de la famille en Andalousie. Mon père aussi. Lui ne votait pas et cette fois il va venir. Je suis catalane mais je suis aussi espagnole. »

Dans cette commune, en 2015, Ciudadanos était arrivé en tête avec 24 % des voix, suivi du Parti socialiste de Catalogne (PSC), avec 19,7 %. Le Parti populaire (PP) avait eu 14 % des suffrages, presque le double de la moyenne régionale. Pour leur part, les indépendantistes n’avaient obtenu que 19 % des voix. Or, dans cette ville, comme dans toute la ceinture de Barcelone, la participation est habituellement beaucoup moins élevée que dans la Catalogne intérieure.

Aux élections régionales de 2015, elle fut en Catalogne de 75 %, mais de seulement 69 % à Sant Adria de Besos. Ce sont ces abstentionnistes, présupposés unionistes, que les partis non indépendantistes ont cherché à séduire durant la campagne, en multipliant les meetings à l’Hospitalet de Llobregat, Cornella, Santa Coloma, Sant Adria et autres villes ouvrières.

« L’indépendance, c’est la ruine… »

Julia Hernandez, 75 ans, devant l’école Pompeu Fabra, à Sant Adria de Besos est convaincue :

« Je vais voter pour Ciudadanos. Nous ne voulons pas l’indépendance. Cela fait cinquante-deux ans que l’on vit ici. Je suis née en Estrémadure mais mon père est catalan. Je me sens catalane et espagnole et ça n’avait jamais été un problème jusqu’à présent. L’indépendance, c’est la ruine… »

A l’intérieur, Alvaro Tejedor, 23 ans, est venu de Madrid pour occuper la fonction d’assesseur pour le PP, auquel les sondages donnent à peine 5 % des voix. « C’est un jour très important pour l’Espagne et pour la Catalogne, dit-il. Je dois vérifier qu’il n’y a pas de pression sur les gens, qu’ils peuvent choisir librement. Et ma présence est aussi une façon de dire aux Catalans que nous les soutenons, que l’Espagne ne va pas les abandonner. »

Lorena Alcaide, 28 ans, n’avait pas voté en 2015. Mais cette fois, elle en a « marre ». Cinq ans de processus sécessionniste, c’est trop pour la jeune femme, qui se dispute à présent avec son mari, indépendantiste. « J’ai été perturbée ces derniers mois », reconnaît-elle, avant de se dire convaincue que les non-indépendantistes « vont gagner » : « Nous sommes la majorité. »

A Barcelone, devant l’école Ramon LLull, qui le 1er octobre, jour du référendum illégal, avait été le théâtre de violences policières, l’ambiance est autre. Susana Nicolá, travailleuse sociale, a voté pour la Gauche républicaine (ERC) du vice-président déchu Oriol Junqueras « pour protester contre le fait qu’il est en prison, car ce qui s’est passé est vraiment horrible ».

Elle n’est pas forcément d’accord avec le programme des sécessionnistes — « l’indépendance [lui] fait un peu peur » —, mais elle estime qu’il faut « avant tout se mobiliser contre la politique du Parti populaire ».

« Ce qui s’est passé ne doit plus jamais se répéter et il faut que Madrid le sache »

Oscar Guasch, professeur de sociologie à l’université de Barcelone, est pessimiste. Le gouvernement de Mariano Rajoy est selon lui « corrompu et autoritaire » et la Catalogne va mettre « au moins une génération à devenir indépendante ». Il croit que « ce qui s’est passé ces derniers mois va bouleverser la vie politique espagnole et en finir avec le régime de [la Constitution] de 1978 ».

José Lopez, entrepreneur, se définit comme socialiste, mais pour ce scrutin il a choisi la liste de Carles Puigdemont Junts per Catalunya  (« ensemble pour la Catalogne ») pour protester contre la mise sous tutelle de la région. « Je ne suis pas d’accord avec l’indépendance, mais je pense qu’il est inacceptable d’avoir mis en prison les deux Jordi [Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, les deux responsables des associations indépendantistes ANC et Omnium cultural]. Ce qui s’est passé ne doit plus jamais se répéter et il faut que Madrid le sache. »

Itziar Perez, consultante, hésite un peu avant de répondre et d’avouer tout bas qu’elle n’est « pas indépendantiste » et qu’elle va voter socialiste. La situation en Catalogne, dit-elle, doit changer, « car on ne parle que l’indépendance alors qu’il y a beaucoup d’autres problèmes ». Elle estime que la région « ne peut plus continuer à vivre dans une pareille tension ».