Jaroslaw Kaczynski, au Parlement de Varsovie, le 14 décembre. Le chef du PiS passe pour le vrai leader de la Pologne. / AGENCJA GAZETA / REUTERS

Editorial du « Monde ». Quel paradoxe ! Sous le régime soviétique, la Pologne fut à l’avant-garde du combat anticommuniste. Les Polonais furent les premiers à arracher aux autorités un syndicat indépendant, les premiers à négocier un gouvernement démocratique. Ayant pris une part active à l’éclatement de l’empire soviétique, ils furent pionniers dans la transition vers l’économie de marché. Elève modèle de l’intégration européenne, sixième Etat membre par sa population, la Pologne avait la vision et l’ambition d’un pays leader au sein de l’Union européenne (UE). Mercredi 20 décembre, la Pologne a de nouveau été pionnière, mais le registre est moins glorieux.

Après deux ans de mises en garde et de tergiversations, la Commission européenne a déclenché, pour la première fois dans l’histoire de l’UE, la procédure prévue par l’article 7 du traité de Lisbonne contre un Etat membre soupçonné de commettre « une violation grave et persistante » des valeurs de l’UE. Cet Etat membre, c’est la Pologne. Elle qui avait si fièrement intégré l’Europe en 2004 s’en retrouve aujourd’hui mise au ban symboliquement.

Toute une série d’étapes doivent être franchies avant d’arriver au stade des sanctions, qui consistent à suspendre certains droits de l’Etat mis en cause, notamment ses droits de vote au sein du Conseil européen. Mercredi, seule la première phase de l’article 7 a été actionnée : Varsovie dispose à présent de trois mois pour répondre aux inquiétudes de Bruxelles sur « l’existence d’un risque clair de violation grave de l’Etat de droit en Pologne », selon la formulation de la Commission.

La phase 2, celle qui ouvrirait la voie à des sanctions, ne viendrait qu’après, dans l’hypothèse où Varsovie ne réagirait pas à la première phase. Il faudrait alors un sommet européen pour constater, à l’unanimité, la « violation grave et persistante ». Cette option paraît cependant improbable, la Hongrie de Viktor Orban ayant fait savoir qu’elle ne voterait pas contre la Pologne.

Kaczynski ne récolte que ce qu’il a semé

Fallait-il en arriver là ? Oui, malheureusement. Le gouvernement polonais, dirigé par le parti nationaliste Droit et justice (PiS) depuis les élections d’octobre 2015, n’a cessé de limiter la liberté des médias, de restreindre la liberté de création et d’entreprendre des réformes de l’appareil judiciaire qui compromettent l’indépendance de la justice. Pensant peut-être que la Commission, qui avait pratiquement fermé les yeux sur le cas hongrois, n’irait pas jusqu’à engager la procédure de l’article 7, Varsovie n’a répondu ni aux avertissements répétés de Bruxelles, ni à la pression d’une partie non négligeable de la société civile polonaise. Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS, qui passe pour le vrai leader de la Pologne, ne récolte que ce qu’il a semé.

Pour la Commission, ne pas agir aurait été d’une faiblesse coupable. Les temps ont changé, depuis les premiers errements de Viktor Orban. Le populisme et l’extrême droite ont progressé dans l’Union ; ils représentent aujourd’hui une force politique qui pèse et participe à plusieurs gouvernements, comme dernièrement en Autriche. En dépit de leurs critiques à l’égard de Bruxelles, ces gouvernements jugent manifestement qu’il est dans leur intérêt de rester membres du club européen. Tant mieux. Mais il doit être clair pour tous que cela implique d’en respecter les règles et les valeurs. La première de ces règles est l’Etat de droit. C’est l’un des fondements de la démocratie européenne. Et à ce titre, il n’est pas négociable.