Dans un lycée parisien, le 15 juin. / MARTIN BUREAU / AFP

« En ce moment, avec les affaires qui sortent dans les médias, les filles commencent à parler, assure Shanley, lycéenne dans le Val-d’Oise. C’est la fin de la loi du silence. » Jeudi 21 décembre, la jeune fille était à l’initiative, avec une centaine de camarades, d’un blocus devant son établissement de Pontoise (Val-d’Oise) ; un lycée où, estiment-elles, les insultes sexistes, les gestes déplacés dont les filles sont victimes ne suscitent pas la réaction qu’elles attendent de la part des enseignants. La direction académique du Val-d’Oise s’est engagée à regarder de près ce qui se joue dans cet établissement.

Si une mobilisation de ce type place sous les feux des projecteurs les violences de nature sexiste et sexuelle qui existent en milieu scolaire, celles-ci, au regard des statistiques officielles, restent peu fréquentes : l’enquête de climat scolaire que vient de rendre publique la DEPP (le service statistique du ministère de l’éducation) au sujet des collèges – là où le harcèlement est le plus « dur », disent les enseignants –, fait état, en 2017, d’un peu moins de 5 % d’élèves déclarant avoir subi des baisers forcés (5,3 % de filles, 4,2 % de garçons). Ils sont 6 % à témoigner de caresses forcées (7,6 % de filles, 4,5 % de garçons). Et 7,5 %, filles comme garçons, d’actes de voyeurisme – dans les gymnases, les toilettes…

Sur ces trois points, on ne distingue pas d’évolution significative par rapport la précédente édition de l’enquête, en 2013. Les insultes à caractère sexistes, elles, augmentent : 8,3 % des collégiens en déclarent aujourd’hui, contre 5,5 % il y a quatre ans. Les filles sont nettement plus touchées que les garçons : le ratio atteint 11,1 % les concernant, elles, contre 5,9 % de leurs camarades.

« On ne compte plus les mecs qui sifflent »

Manon, Lelia et Benjamin, croisés à Paris, sont encore au collège. Ces trois élèves de 3sont catégoriques : eux n’ont « jamais » fait l’expérience du harcèlement en milieu scolaire. Reste qu’ils distinguent, clairement, ce qui relève à leurs yeux de l’agression – du « corps à corps » –, et ce qui « reste verbal ». Des « connasses », des « salopes », ils en ont entendu fuser. « C’est devenu courant, presque banal », assure Benjamin. « Quand c’est entre amis, le ton n’est pas agressif, renchérit Manon. D’ailleurs ça ne vient pas que des garçons ; entre filles aussi, on se le dit… » « Mais c’est quand même moins amical si ça vient des garçons », la coupe Lelia. De « tout ça », ils n’aiment pas trop parler : « C’est sensible, disent-ils ; et très gênant aussi… »

Joséphine, Iona et Elsa, lycéennes dans le 13arrondissement de Paris, ont trois années de plus, et aucune difficulté pour mettre des mots sur ces violences. « Tout le monde en parle depuis l’affaire Weinstein, mais on n’a pas attendu ce coup de projecteur pour en débattre entre nous », explique Elsa. Pour cette jeune majeure, en terminale, le problème n’est pas à l’intérieur du lycée mais « dans la rue, durant les trajets, dans les transports ». « Entre copines, on ne compte plus les regards persistants, les mecs qui sifflent ou qui klaxonnent », raconte Joséphine. « Ou les hommes qui se frottent à vous dans le métro, ajoute Iona, même quand on est mineure. Peut-être même plus quand on est mineure… »

Dans leur ancien collège, avec des intervenants extérieurs, toutes les trois ont abordé la question lors de séquences de « prévention de la sexualité »… mais « sans doute trop tôt », jugent-elles d’une même voix. « C’était en 4e ou en 3e, on n’était pas à l’aise, se souvient Joséphine. Du coup, tu ne prends pas la séquence au sérieux, tu rigoles, tu chahutes pour que ça passe plus vite… » « C’est dommage, regrette Elsa, parce qu’à 16 ou 18 ans, quand on noue vraiment des relations amoureuses, ça aurait du sens de prendre du temps pour en parler au lycée. » « D’autant qu’en famille, on n’a pas tous la même liberté de paroles », glisse Iona.

« Je me suis déjà dit que j’aimerais bien être un mec »

Clélia, en 1ère littéraire dans le 14arrondissement, n’a pas le sentiment que le lycée ferme les yeux ; plutôt celui que « ce n’est pas sa priorité ». Et ils sont toute une petite bande, massés devant leur lycée ce mardi de décembre, à lui donner raison. « De toute façon, le consentement, ça ne s’apprend pas à l’école, suggère Olivier. Ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas, ce qu’on sent, ce qu’on ne sent pas… ça se discute avec la personne avec qui tu es, non ? » Mathilde n’est pas d’accord : « J’en connais plein des filles qui ne savent pas dire non, ou qui n’osent pas. Qui se sentent sous pression, même avec leur petit ami, ou qui se disent que c’est trop tard… »

« Avec une camarade, reprend Clélia, en classe, on a préparé un TPE [travail personnel encadré] sur Simone de Beauvoir. Peut-être que ça nous aurait moins intéressées s’il n’y avait pas tous ces problèmes au quotidien. » De quels problèmes parle-t-elle ? « Des gros lourds dans le métro qui vont jusqu’à se caresser devant toi. Des sifflets dans la rue, des voitures qui s’arrêtent… Quand je m’habille, quand je sors le soir, j’ai parfois le sentiment d’une liberté limitée, confie la jeune fille. Je me suis déjà dit que j’aimerais bien être un mec. »

« Les mecs aussi se font embêter », la coupe Lucas. Eclats de rire dans le petit groupe. Personne ne semble vraiment le croire.