Isabelle Froidefond, adjoint au maire aux affaires sociales d'Ayen, en Corrèze, en novembre 2007. / SOLENE L'HENORET / LE MONDE.FR

Lorsque Odette Sourisseau s’est installée à Ayen (Corrèze), un village de 750 habitants juché sur des remparts qui surplombent la vallée, elle ne savait même pas conduire. Arrivée dans cette commune en juillet 1987, elle quittait son emploi chez une marque de lingerie féminine, à Paris, pour monter son propre atelier en pleine campagne, à un peu plus de 2 kilomètres du bourg. « J’allais tous les jours en mobylette au village pour envoyer mes commandes par La Poste », se rappelle, amusée, cette retraitée de 85 ans. Depuis, elle fait partie des habitants de la commune qui transportent dans leur voiture des Ayennois, adhérents au service de covoiturage Ecosyst’m.

Ce dispositif innovant a été mis en place par la collectivité en avril 2014 pour répondre aux problèmes de mobilité, dans le cadre d’Agenda 21, un programme politique adopté en juin 1992 par 173 chefs d’Etat et qui vise le développement durable du territoire. L’initiative est alors portée par trois acteurs : la fédération Ecosyst’m, le collectif associatif « Le durable a son village », composé de citoyens, d’élus et de l’association des commerçants, et la Maison de services au public (MSAP) d’Ayen, chargée de gérer la logistique.

La commune, qui se situe à 25 kilomètres au nord-ouest de la première grande gare (à Brive-la-Gaillarde), n’a ni ligne de bus régulière ni société de taxis. Ainsi, en apprenant que la SNCF cherche un territoire pour développer un nouveau service de covoiturage local, l’équipe municipale d’Ayen postule immédiatement pour devenir la première commune test. Se rendre à l’hôpital de Brive, à la gare ou chez l’opticien d’Objat, l’idée consiste à développer – sur le modèle des plates-formes de covoiturage – un dispositif entre habitants pour de petits trajets sur le territoire. « J’ai des amis un peu âgés qui ne conduisent plus ou des voisins sans voiture. Avec ce système, ils n’ont plus peur de me déranger, ils ne se sentent plus redevables », appuie Odette Sourisseau, qui se fait elle-même conduire de temps en temps, notamment lorsque sa voiture est chez le garagiste.

Odette Sourisseau, adhérente d'Ecosyst'm, à Ayen (Corrèze), en novembre 2017. / SOLENE L'HENORET / LE MONDE.FR

« C’est une commune qui se bouge »

En pratique, les adhérents d’Ecosyst’m achètent des bons à la MSAP, qui met en relation les covoitureurs par e-mail. Le passager rétribue 6 centimes du kilomètre le conducteur, qui à son tour transforme la somme en Y’ACA, la monnaie locale créée pour soutenir le dispositif, et peut l’utiliser dans les 22 magasins partenaires. « Pour les commerçants, la logistique n’est pas du tout contraignante, c’est comme accepter un chèque restaurant », précise Céline Michaud, gérante de la supérette Utile :

« Même si le montant total n’est pas énorme [la supérette a comptabilisé 56 euros en Y’ACA en octobre], le dispositif est attrayant parce que c’est une commune qui se bouge. »

L'adhérent d'Ecosyst'M rétribue à hauteur de 6 centimes le kilomètre le conducteur, qui peut à son tour transformer la somme en monnaie locale, le Y’ACA, et l’utiliser dans les magasins partenaires. / SOLENE L'HENORET / LE MONDE.FR

Trois ans après son lancement, Ecosyst’m compte quatre-vingt-dix covoitureurs et s’est élargi à sept autres collectivités limitrophes. Un succès modeste, mais que défend avec vigueur Jérôme Perdrix, 59 ans, aide-soignant en hôpital psychiatrique la nuit et adjoint au maire chargé du développement durable le jour :

« Ecosyst’m pourrait être vingt fois plus important qu’aujourd’hui. Mais c’est une expérience qui est faite pour se dupliquer. Elle attire énormément de monde, des communes, des partenaires qui souhaitent s’en inspirer. Elle nous échappe complètement, mais illustre bien l’idée de : “Comment mettre un peu d’intelligence sur le territoire”. »

Depuis qu’il a intégré l’équipe municipale d’Ayen en 1996, Jérôme Perdrix est à l’affût de nouvelles idées ou initiatives pour apporter des solutions aux problèmes d’enclavement rencontrés par le village. Déjà en 2007, Ayen est pionnière avec la création d’un Relais services publics (RSP). En 2015, c’est tout naturellement que ce RSP devient l’une des 1 150 MSAP en France, ces structures nées de la volonté de l’Etat de réunir en un lieu unique différents services en fonction des besoins locaux.

« Notre projet vise à réduire les inégalités de toutes sortes »

Marine Jaspart et Laetitia Rondel, les deux animatrices de la Maison des services au public d’Ayen, en Corrèze, en novembre 2017. / SOLENE L'HENORET / LE MONDE.FR

A Ayen, lorsque les usagers passent la porte de la MSAP, ils sont accueillis par Laetitia Rondel et Marine Jaspart, les deux animatrices formées pour répondre, sans distinction de domiciliation, à toutes leurs questions. En plus de s’inscrire à Ecosyst’m, ils peuvent être informés, accompagnés dans leurs démarches de la vie quotidienne et accéder à un espace numérique confidentiel, aux services de La Poste, de l’office du tourisme et à tous ceux de leurs partenaires comme la sécurité sociale agricole MSA, Pôle emploi ou encore la CAF.

Sur Internet, les demandes ne rentrent pas toujours dans les cases. François Pommepuy, agriculteur domicilié à une quinzaine de kilomètres d’Ayen, s’est déjà déplacé à deux reprises à Brive-la-Gaillarde pour rien. « La première fois, il me manquait des documents, la deuxième, j’ai découvert que Brive ne faisait plus les cartes grises et que je devais faire la demande en ligne », explique cet agriculteur. Mais sa sœur et lui ont reçu cette voiture en héritage, ce qui complique la démarche. Après avoir pris conseil auprès de l’organisme, Laetitia Rondel finit par démêler son cas.

La Maison des services au public d'Ayen, en Corrèze, en novembre 2017. / SOLENE L'HENORET / LE MONDE.FR

A la mairie, Jérôme Perdrix reste convaincu du rôle de la collectivité dans l’accompagnement des plus fragiles et de ceux qui ne maîtrisent pas les nouveaux outils. « C’est un changement, une révolution, et on ne reviendra pas en arrière. Notre projet vise à réduire les inégalités de toutes sortes, entre les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, les Français, les étrangers, les éduqués, ceux qui le sont un peu moins », assure-t-il.

« Les moyens, on en donne moins à ces petites communes »

Avec plus de 10 000 prises de contact par an et une hausse de la fréquentation de 10 % en 2016 par rapport à l’année précédente, le bilan de la MSAP d’Ayen est plus que satisfaisant. Il n’en reste pas moins que le dispositif repose essentiellement sur des aides publiques importantes. En 2017, la municipalité, qui avait touché 35 000 euros de l’Etat et des fonds opérateurs en 2016, n’a perçu que 30 000 euros.

« Les moyens, on en donne moins à ces petites communes, qu’on déshabille régulièrement de fonctions qu’elles exerçaient jusqu’à présent : les tribunaux administratifs, les pharmacies, les établissements militaires…, analyse Dominique Royoux, professeur de géographie à l’université de Poitiers et directeur du laboratoire Ruralités. En France, la décentralisation est maintenant totale, parce qu’elle a fait en sorte que les élus locaux comprennent que l’orientation de leur territoire dépendra de leur capacité de prise d’initiative. » Mais à la mairie, les élus se demandent quelle solution trouver lorsque le contrat d’avenir de l’animatrice de la MSAP prendra fin en janvier.

Le projet #Bledsàpart

Cette année, la rédaction du Monde part à la recherche d’histoires, de témoignages, d’acteurs qui ont décidé de se mobiliser pour dynamiser leur territoire.

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