Deux supporteurs du FC Barcelone lors d’un match amical à Bangkok, en août 2013. / NICOLAS ASFOURI / AFP

Cap sur l’Orient pour la locomotive du football espagnol : le clasico Real Madrid-FC Barcelone a été programmé samedi 23 décembre à un horaire précoce et inhabituel, 13 heures. La raison est strictement économique : il bénéficiera ainsi d’une exposition maximale en Asie, terre de conquête face au tout-puissant championnat d’Angleterre.

Avec 650 millions de téléspectateurs attendus, le clasico espagnol est le match de clubs le plus regardé au monde. Et une machine à revenus pour la Liga, dont la dramaturgie repose beaucoup sur la course-poursuite permanente entre Real et Barça.

« Le clasico est la vitrine idéale, le produit d’appel pour que les gens regardent le football espagnol », explique José Maria Gay de Liébana, économiste à l’université de Barcelone.

Ce spécialiste de l’économie du football souligne que le championnat d’Espagne génère selon certaines estimations 10 à 15 milliards d’euros de revenus, soit 1 à 1,5 % du PIB espagnol, et il évalue les revenus directs et indirects générés par le seul clasico à « plusieurs centaines de millions d’euros ».

Classes moyennes asiatiques

L’horaire de mi-journée correspond à une volonté de séduire les marchés asiatiques : à 13 heures au stade Santiago-Bernabeu de Madrid, il sera 20 heures à Shanghaï, 19 heures à Djakarta et 17 h 30 à New Delhi.

« Nous souhaitons proposer à nos supporteurs en Asie l’opportunité de regarder le duel entre Real Madrid et Barcelone à un horaire adapté, déclare à l’Agence France-Presse Joris Evers, directeur de la communication mondiale de la Ligue espagnole (LaLiga). Et bien sûr, nous voulons attirer de nouveaux supporteurs. »

En termes de droits de retransmission télévisée, la zone Asie-Océanie a rapporté au championnat d’Espagne 122 millions d’euros en 2016-2017, loin derrière l’Espagne (911 millions), l’Amérique (212 millions) et l’Europe communautaire (148 millions).

Mais c’est davantage au niveau du marketing que les enjeux sont alléchants, souligne José Maria Gay de Liébana. « La Chine et d’autres pays émergents ont des classes moyennes qui ont de plus en plus de pouvoir d’achat. Et au travers du football, les marques peuvent les atteindre », analyse-t-il.

« L’Asie est un marché très important pour le Barça »

L’autre objectif est lié à la concurrence entre championnats : la Premier League anglaise écrase le marché des droits TV avec environ 3,3 milliards d’euros récoltés chaque saison, contre 1,6 milliard pour la Liga.

Le risque pour l’Espagne est d’être distancée financièrement et de se faire dépouiller de ses meilleurs joueurs. D’où sa volonté de rivaliser à l’étranger avec notamment l’ouverture d’antennes locales, à Singapour, Pékin ou New York.

Dans cette optique, le premier Barça-Real de la saison s’est déroulé fin juillet… aux Etats-Unis (3-2). Un coup commercial pour une rencontre amicale, en attendant de délocaliser à l’étranger certains matchs officiels, comme l’a proposé le bouillant président de la Liga, Javier Tebas.

« L’Asie est un marché très important pour le Barça », a reconnu Josep Maria Bartomeu, président du club catalan, dont le principal partenaire est l’entreprise japonaise Rakuten. L’Atletico Madrid, Valence ou l’Espanyol Barcelone disposent chacun d’actionnaires asiatiques.

Les supporteurs espagnols énervés

Les supporteurs espagnols, que ce match passionne, sont les premiers perdants de ce choix stratégique. A 13 heures en Espagne, c’est la fin de matinée et un horaire très inhabituel pour suivre un match. Mais ces programmations précoces sont une tendance lourde, comme l’expliquait Javier Tebas l’été dernier.

« Ce fut une révolution en Espagne, tout le monde voulait me tuer, des supporteurs des Canaries, à ceux de Bilbao en passant par la direction du Real Madrid, tous ! », confiait-il lors d’une conférence à Cannes. Il l’a fait tout de même : il faut dire que les recettes des stades, soumises à un nombre de places limitées, sont loin d’égaler celles de la télévision.

Pour José Maria Gay de Liébana, le championnat espagnol devrait aussi garder un œil sur le marché américain, très prometteur avec son importante communauté hispanique folle de football. « La Liga sait sans doute ce qu’elle fait en plaçant ce match à 13 heures. Mais moi, à leur place, je veillerais à ce que l’horaire convienne en Amérique », dit l’économiste.