Image triée de « Deja-Vu », 1973 / Ralph Gibson/ Lustrum Press

Pourquoi la photographie devrait-elle nécessairement témoigner du monde ? C’est en tournant l’appareil plutôt vers lui-même, à la manière d’un miroir, que l’Américain Ralph Gibson a lancé sa carrière, dans les années 1970, en rupture avec tout ce qui se faisait à l’époque dans son pays. Cet autodidacte a pourtant travaillé dans sa jeunesse pour l’agence Magnum, mais sans s’y sentir jamais à l’aise : « je n’étais pas intéressé par le paysage politique ou social, j’étais trop plein de moi, je voulais confier à mes images mes états émotionnels » explique le photographe qui expose ses images au Pavillon populaire de Montpellier. Après neuf mois passés au Chelsea Hotel, à cogiter et à travailler sur ses photos, le jeune Gibson a fini par publier un livre qui fera date : The Somnabulist (1970). «  A chaque image, la seule question que je me posais, c’est me demander si elle faisait partie de mon rêve » dit le photographe qui a gardé, à 78 ans, son bagout et ses légendaires yeux bleus. Ses photos noir et blanc, aux contrastes poussés à l’extrême, font fi de toute information (il n’y a d’ailleurs aucune légende), rendant l’interprétation ouverte. Un pavé dans la mare dans les années 1970, époque dominée par le photojournalisme et par ceux qu’on appellera les « New Topographics », photographes qui vont aborder le paysage industriel américain de façon neutre et frontale.

Subjectivité et onirisme

Ralph Gibson revendique au contraire la subjectivité et l’onirisme comme matières premières de son œuvre. Les trois premiers livres qu’il a publiés, dans sa propre maison d’édition fondée à cet effet, Lustrum Press, sont connus sous le nom de « Black Trilogy  ». Ils ont fait date et lui ont permis, par la suite, de vivre confortablement de la vente de ses tirages appréciés des collectionneurs. C’est cette trilogie qui est présentée sous forme d’une exposition au Pavillon populaire de Montpellier, qui respecte le déroulé des trois livres d’origine.

Image tirée de « The Somnambulist », 1970. / Ralph Gibson/ Lustrum Press

A Montpellier, la sophistication des ces images frappe au premier abord : noirs charbon et surexposition, effets de géométrie, jeux sur le flou ou le bougé, effets de distance et de gros plan. On passe sans transition du fragment au paysage, des personnages au regard intense semblent saisis au cours d’un voyage, d’une histoire tragique, d’un séjour à l’hôtel. Des oiseaux et des chevaux traversent parfois la page, beaucoup d’instants sont saisis à travers des fenêtres, comme à distance. Plus encore que les maîtres de la photographie qu’il vénère – il a été l’assistant de Robert Frank –, le photographe revendique comme influence majeure le cinéma européen et la littérature, en particulier le Nouveau Roman.

Image tirée de « Days at Sea », 1974. / Ralph Gibson/ Lustrum Press

L’exposition, cependant, peine à faire pénétrer dans ce paysage intérieur. Peut-être parce que justement les images ont été faites pour un livre : les échos très travaillés, d’une page à l’autre, entre les photographies, et les effets de style visuels, percutants dans l’intimité des ouvrages d’origine, se perdent ici dans l’espace de la salle. Mais aussi parce que, presque cinquante ans après, le symbolisme un peu lourd de Ralph Gibson – les portes, les oiseaux, la mer – a perdu de sa puissance évocatrice. Les images les plus intéressantes sont celles qui grincent et qui résistent, comme une étrange scène avec un bébé et une lampe, hésitant entre grotesque et cauchemardesque – en écho peut être aux œuvres étranges d’un Ralph Eugene Meatyard. Peut être aussi parce que le style Gibson, onirique jusqu’à frôler le romantique, peuplé de jeunes filles au regard perdu dans l’ailleurs, a été trop copié et est devenu désuet. Le pire est atteint avec le troisième volume de la trilogie, Days at Sea, qui évoque le désir (celui du photographe pour les femmes en général) d’une façon très directe et visuellement peu inventive, pleine de clichés éculés sur la féminité ou l’érotisme. Des images mentales qui peinent à émouvoir, trop collées aux fantasmes de son auteur.

Ralph Gibson : la Trilogie, 1970-1974. Pavillon Populaire de Montpellier. Jusqu’au 8 janvier 2018. Entrée gratuite. Du mardi au dimanche, de 10 h à 13 h et de 14 h ç 18 h. Catalogue 200 p., ed. Haza, 35 €.