Film sur Ciné+ Club à 22 h 30

LA MORT DE LOUIS XIV d'Albert Serra - Bande-annonce
Durée : 01:38

« C’est une joie, et une souffrance. » C’est peut-être cette phrase, sobre et pleine, que Jean-Paul Belmondo dit à Catherine Deneuve à la fin de La Sirène du Mississippi, qui traduirait le mieux le sentiment que procure La Mort de Louis XIV, d’Albert Serra. Pendant une heure et demie, le cinéaste catalan filme Jean-Pierre Léaud dans le rôle du Roi-Soleil alors que la gangrène le ronge de l’intérieur.

Dans la pénombre de sa chambre, la caméra scrute son visage éclairé à la bougie, caresse les rides qui le creusent, le tressaillement de ses joues quand il sourit, le tremblement de ses mains quand il porte une cuiller à sa bouche, la sueur qui luit sur son visage quand la fièvre l’assaille… Tandis qu’à son chevet se relaient, dans un ballet silencieux, une kyrielle de courtisans, médecins plus ou moins charlatans, représentants de l’Eglise, valets et conseillers militaires aux accents exotiques, le vieil acteur explore une palette de jeu extraordinaire.

Souverain au milieu d’une cour qui le flatte sans vergogne, qui applaudit à la moindre de ses ­déglutitions (mention spéciale à l’hilarant charlatan espagnol qui considère la vérole comme une jolie rose), soudain réduit à la condition de corps déliquescent secoué par les spasmes, râlant ­à la mort pendant de longues ­minutes.

Hybridation géniale

Il se montre émouvant avec son petit-fils, le Dauphin, et plus ­encore avec ses chiens, et trouve même le moyen d’exprimer sa personnalité fantasque dans les interstices.

Depuis Honor de Cavalleria (2006), Albert Serra construit son œuvre en se confrontant aux grands mythes occidentaux – les Rois mages dans Le Chant des oiseaux (2008), Casanova et Dracula dans Histoire de ma mort (2013), et d’autres encore dans ses installations d’art contemporain. Avec l’hybridation géniale qu’il propose ici du plus grand roi de France et de son plus grand acteur, il chante l’oraison funèbre de la Nouvelle Vague en prenant au pied de la lettre l’expression de Jean Cocteau : « Le cinéma, c’est filmer la mort au travail. »

Il offre surtout un magnifique cadeau à Jean-Pierre Léaud, dont le dernier grand rôle, celui du Pornographe, de Bertrand Bonello, remonte à 2001. En le consacrant monarque absolu du cinéma français, il offre à son mythe un écrin beau comme un Rembrandt que l’histoire semblait attendre sans oser le demander.

La Mort de Louis XIV, d’Albert Serra. Avec Jean-Pierre Léaud (Fr.-Esp, 2016, 115 min).