Vitali Moutko, le 25 décembre, lors de sa conférence de presse. / SERGEI KARPUKHIN / REUTERS

Vitali Moutko a inventé le concept de l’auto-suspension temporaire. Lors d’une conférence de presse, le vice-premier ministre russe chargé des sports a annoncé, lundi 25 décembre, qu’il quittait pour six mois ses fonctions de président de la Fédération russe de football. Un poste auquel il avait été élu en 2015 et qu’il avait déjà occupé de 2005 à 2009. Le dirigeant de 59 ans assure avoir pris cette décision afin d’être en mesure de contester sa suspension à vie des Jeux olympiques, décidée le 5 décembre par le Comité international olympique (CIO) en raison de son implication dans le scandale du dopage institutionnalisé dans le sport russe.

Alors qu’il s’apprête à saisir le Tribunal arbitral du sport (TAS), Vitali Moutko a indiqué, évoquant Vladimir Poutine, qu’il continuerait « à travailler comme vice-premier ministre tant que le président [lui] fait confiance et à superviser la préparation de la Coupe du monde 2018 », prévue dans son pays du 14 juin au 15 juillet. « Je ne démissionne pas, mon mandat reste valide », a martelé l’homme fort du sport russe et patron du comité d’organisation du prochain Mondial.

Une suspension à vie décidée par le CIO

Le rôle de Vitali Moutko dans l’organisation du système de dopage en Russie, qui n’était qu’un gravier dans la chaussure de Vladimir Poutine il y a deux ans, est devenu une gêne considérable lorsque le CIO l’a interdit d’accréditation à vie pour les Jeux olympiques.

Dans ses multiples témoignages, corroborés par ses carnets détaillant ses activités comme directeur du laboratoire antidopage de Moscou, le lanceur d’alerte Grigory Rodchenkov a désigné Vitali Moutko comme l’ordonnateur et organisateur des manipulations des échantillons antidopage des Jeux olympiques de Sotchi, en 2014. Vladimir Poutine avait chargé ce fidèle de redresser les performances des athlètes russes, catastrophiques quatre années plus tôt à Vancouver.

Vitali Moutko était régulièrement tenu au courant des avancées du plan de dopage pour Sotchi, même si son second, Iouri Nagornykh, était impliqué de plus près. Ce dernier a été sacrifié par le Kremlin après la première enquête diligentée par l’Agence mondiale antidopage (AMA), menée par le juriste canadien Richard McLaren, au second semestre 2016 ; à l’inverse, Vitali Moutko avait alors été promu vice-premier ministre.

Les dénégations du pouvoir russe (...) reposaient sur la crédibilité contestée de M. Rodchenkov

Les dénégations du pouvoir russe sur l’implication de M. Moutko reposaient jusqu’à présent sur la crédibilité contestée de M. Rodchenkov. Le fait que les enquêteurs de l’AMA et du CIO, l’ancien président de la Confédération helvète Samuel Schmid, chargé par le CIO de présider sa commission d’enquête sur le dopage russe, et le président de l’instance olympique, Thomas Bach, aient reconnu la véracité des accusations de l’ancien directeur de laboratoire, a réduit en cendres cette ligne de défense.

Dans sa décision, la commission Schmid désignait Vitali Moutko comme le principal responsable à sanctionner, le ministre des sports étant chargé, dans le système russe, de la lutte contre le dopage ainsi que du respect de l’intégrité des compétitions dans le pays.

Dans la foulée, la Fédération internationale de football (FIFA) avait affirmé que cette décision du CIO « n’affecterait pas la préparation de la Coupe du monde de football en Russie en 2018 », laissant entendre que Vitali Moutko n’aurait pas à en souffrir. Mais il était illusoire de considérer que la situation du président du comité d’organisation n’aurait aucune conséquence, au moins médiatique, sur la Coupe du monde.

Quatre jours avant la décision du CIO, la conférence de presse précédant le tirage au sort de la Coupe du monde avait d’ailleurs été polluée par les questions de dopage et l’implication présumée de Vitali Moutko, sous le regard navré du président de la FIFA, Gianni Infantino.

La mise à l’écart relative et temporaire de Vitali Moutko ne devrait pas fragiliser son statut d’homme fort du football russe. Proche de Vladimir Poutine, qu’il côtoie depuis leur passage commun, dans les ­années 1990, à la mairie de Saint-Pétersbourg, au sein de l’administration d’Anatoli Sobtchak, le dirigeant devrait conserver le soutien du Kremlin.

Une « pression » de la FIFA ?

Vendredi 22 décembre, le journal russe Kommersant avait annoncé le prochain retrait de M. Moutko en raison de la « pression » de la FIFA. Or, l’ex-président fondateur de la Ligue professionnelle de football de Russie ne fait, à ce jour, l’objet d’aucune procédure formelle du comité d’éthique de la Fédération internationale de football pour son implication dans le scandale de dopage d’Etat en Russie.

Certes, les allégations portées contre lui, ainsi que le rapport McLaren, ont été examinés par le Suisse Cornel Borbély, ex-président de la chambre d’instruction dudit comité d’éthique. Mais ce dernier, dont le mandat n’a pas été renouvelé en mai par la FIFA, n’a guère eu le temps de creuser davantage.

Proche de l’ex-président de la Fédération internationale (1998-2015) Sepp Blatter, Vitali Moutko a bénéficié, un temps, de la mansuétude de son successeur, Gianni Infantino, élu en 2016. L’actuel patron du football mondial et sa secrétaire générale, Fatma Samoura, ont notamment encouragé le Portugais Miguel Maduro, alors numéro 1 du comité de gouvernance de la FIFA, à ne pas invalider la candidature du Russe à un nouveau mandat au Conseil (gouvernement) de l’institution.

En mars, Miguel Maduro a pourtant estimé que Vitali Moutko était inéligible, ne pouvant cumuler ses activités à la FIFA et son poste au sein du gouvernement russe. Gianni Infantino a décidé, en mai, de ne pas renouveler le mandat du Portugais. « Comme les décisions que nous avions prises étaient contraires à l’intérêt de beaucoup de personnalités très puissantes à la FIFA, je suis certain que Gianni Infantino était sous pression pour nous écarter », confiait, en septembre, Miguel Maduro au Monde.

Malgré son éviction du Conseil de la FIFA, dont il était membre depuis 2009, Vitali Moutko continue à exercer son influence au sommet de l’organisation. En septembre, c’est son fidèle bras droit et compatriote Alexeï Sorokin, numéro 2 du comité d’organisation du Mondial 2018, qui a été élu pour le remplacer au sein du gouvernement de la FIFA.