Carmen Colle, fondatrice et directrice de World Tricot, le 29 mai 2009, lors de la présentation de la collection de sa marque « Angèle Baptist ». / SEBASTIEN BOZON / AFP

Carmen Colle avance sur un fil. Depuis qu’en 2005, elle a osé attaquer en justice son principal client, Chanel, cette patronne hors-norme a déjà failli voir sa maison disparaître cent fois. A présent, le péril paraît plus grand que jamais. A la demande du ministère public, la société World Tricot Paris qu’elle avait relancée en 2016 a été placée en redressement judiciaire le 7 décembre. Sale moment pour celle que le Guardian a surnommée l’« Erin Brockovich de la haute couture ».

« Relever une entreprise prend du temps, plaide Mme Colle. Même si c’est fragile, je suis convaincue au plus profond de moi que nous allons réussir. » Tous ses espoirs reposent sur un investisseur qui s’est engagé depuis plusieurs mois à apporter des fonds. Au moins 60 000 euros dans un premier temps, pour permettre à la maison de payer ses huit salariées. « Mais la trésorerie est exsangue, met en garde un expert. Si l’investisseur en vue n’arrive pas, ce sera la liquidation. » Donc la fin d’une incroyable aventure entamée en 1987.

Au fil des ans, la PME séduit les grands noms de la mode

Cette année-là, Carmen Colle, alors animatrice de quartier, lance l’association World Tricot avec le soutien financier de l’abbé Pierre et du Secours catholique. L’objectif de cette fille d’une fermière et d’un bûcheron italiens est d’aider les immigrées de sa commune de Lure, en Haute-Saône. Elle qui a travaillé à l’usine dès 14 ans veut leur apprendre un métier. Leur donner un travail. Grâce à elle, quelques femmes commencent alors à se relayer autour d’une machine à tricoter, installée dans un immeuble HLM.

Débuts modestes. Mais peu à peu, cet atelier d’insertion sociale se transforme en PME à succès. Dorothée Bis, Mugler, Givenchy, Chanel, Kenzo, Dior, etc. : au fil des ans, les petites mains de Lure séduisent les plus grands noms de la mode. Pour eux, elles brodent des perles sur du cachemire, réalisent des robes fabuleuses, tricotent de sobres écharpes noires… A la fin des années 1990, World Tricot emploie près d’une centaine de femmes. Mme Colle crée même sa propre marque, Angèle Batist, en accolant les prénoms de ses parents.

Tout bascule en 2005, lorsque la créatrice de World Tricot découvre, lors d’un défilé, que Chanel a copié un de ses modèles, après l’avoir refusé. Chanel a beau être de loin son premier client, Carmen Colle attaque la prestigieuse maison pour contrefaçon. Un combat inédit qui vaut à l’ex-ouvrière des portraits dans la presse mondiale. Jusqu’en « une » du Wall Street Journal ! C’est « la croisade d’une femme pour que justice soit rendue aux opprimés », écrit le Guardian.

Le procès contre Chanel lui a coûté très cher

Sept ans plus tard, la PME remporte son procès. Aujourd’hui, pourtant, Mme Colle ne veut plus en entendre parler : « Il nous a coûté très cher. » Chanel a cessé de travailler avec World Tricot. D’autres maisons aussi. La suite est une succession de difficultés. Dépôt de bilan, liquidation, expulsion, redémarrage in extremis avec des investisseurs bourguignons, rechute…

Début 2016, Carmen Colle récolte 44 500 euros grâce à une campagne de financement participatif, et relance l’entreprise une fois de plus. Un atelier à Lure, une boîte à lettres à Paris, et l’ambition de tout redémarrer autour de la marque Angèle Batist. Mais difficile de trouver simultanément de nouveaux produits, clients et fournisseurs. Dès juin 2016, la toute jeune société ne peut plus payer ses factures. Début 2017, les salaires ne sont plus versés aux ouvrières. Epuisées, sept salariées saisissent les prud’hommes, et obtiennent gain de cause contre leur ancienne bienfaitrice.

« Nous avons manqué de fonds propres, mais maintenant, toutes les salariées ont été payées », assure Mme Colle. A près de 70 ans, elle veut croire que ses efforts commerciaux, notamment au Moyen-Orient, vont enfin se traduire par du chiffre d’affaires. Mais faute d’argent, la menace d’une faillite paraît chaque jour plus forte.