Des yézidis, près de Sinjar (Irak), en 2015. / AZAD LASHKARI/REUTERS

C’est un cycle qui est redouté dans le nord de l’Irak : celui des règlements de comptes au milieu du chaos et du vide sécuritaire laissé par quatre ans de domination de l’organisation Etat islamique (EI) dans la région. Et celui de la vengeance contre des bourreaux ou collaborateurs présumés du mouvement djihadiste : les tribus sunnites.

Des combattants yézidis auraient enlevé et exécuté 52 civils début juin, en représailles aux exactions de l’EI à l’encontre de cette minorité, affirme l’ONG Human Rights Watch (HRW) dans une enquête publiée mercredi 27 décembre. Selon HRW, qui cite notamment des proches des victimes, « des forces yézidies ont détenu puis apparemment exécuté des hommes, des femmes et des enfants de huit familles qui fuyaient les combats entre l’EI et les unités paramilitaires de la Mobilisation populaire à l’ouest de Mossoul » le 4 juin. Deuxième ville d’Irak et « capitale » du groupe djihadiste, Mossoul a été reprise début juillet par les forces gouvernementales.

Un membre des services de renseignement de la Mobilisation populaire, qui rassemble des milices à dominante chiite qui se sont déployées dans la région après la défaite de l’EI, a de son côté rapporté à HRW avoir localisé plusieurs charniers où se trouvaient des restes de femmes et d’enfants.

« Boucs émissaires »

En juillet, un conseiller juridique des brigades Ezidkhan, la milice mise en cause, avait admis auprès de l’ONG que des forces yézidies avaient bien été impliquées dans la capture de 52 personnes, en précisant que les membres de la tribu sunnite des Imteywit étaient « des chiens qui méritaient la mort ». Début décembre, un commandant militaire déclarait : « Si des membres de [ces] tribus tentent de revenir dans le Sinjar, nous les tuerons. »

Ciblées « dans deux autres cas de disparitions forcées fin 2017 », selon HRW, ces tribus sunnites sont accusées d’avoir profité et participé aux persécutions de l’EI à l’encontre des yézidis à l’été 2014. Ce que leurs chefs démentent : « Nous sommes devenus les boucs émissaires de l’après-guerre. »

Communauté kurdophone, les yézidis, entre 100 000 et 600 000 personnes en Irak, selon les estimations, sont l’une des plus anciennes populations de Mésopotamie. Leur religion, monothéiste, a en partie comme origine le zoroastrisme, la religion de la Perse antique. Leur culte est à l’origine des persécutions qu’ils subissent depuis des siècles et de leur image d’« adorateurs du diable » ou de « païens » qui leur est parfois accolée par les autres communautés.

L’irruption des katibas (unités combattantes) de l’EI dans leur foyer historique du mont Sinjar, en août 2014, les condamne alors à une annihilation. Les hommes d’Abou Bakr Al-Baghdadi (EI) vont prolonger leur conquête territoriale par une tentative de génocide. Plusieurs milliers d’hommes yézidis sont massacrés sur place et 6 000 enfants et femmes qui n’avaient pu fuir la zone sont réduits en esclavage et vont alimenter un commerce d’êtres humains mis en place par l’EI.

Les yézidis ont gardé de cet épisode un certain ressentiment envers les forces kurdes, censées protéger la zone, et qui s’étaient retirées face à l’avancée des djihadistes. Les forces de l’EI ayant été expulsées de la région, ce sont les milices chiites de la Mobilisation populaire, chapeautées depuis Bagdad, qui ont accueilli les groupes armés d’autodéfense yézidie dans le sud du mont Sinjar, dont les brigades Ezidkhan, mises en cause dans le massacre du mois de juin. Les autorités irakiennes disent avoir ouvert une enquête.

« Les atrocités passées commises contre les yézidis ne donnent pas à leurs forces armées un blanc-seing pour commettre des abus à l’encontre d’autres groupes, quel que soit leur passé », a réagi Lama Fakih, numéro deux de HRW pour le Moyen-Orient. Cette dernière rappelle que « les exécutions sommaires durant un conflit sont des crimes de guerre ».