Hassan Rohani à Téhéran, le 5 décembre. / HO / AFP

Pour le deuxième jour d’affilée, des manifestations contre la hausse des prix et la corruption ont eu lieu, vendredi 29 décembre, dans plusieurs villes iraniennes. Dans l’ouest du pays, à Kermanshah, ville peuplée majoritairement par les minorités kurde et sunnite – dans un pays majoritairement chiite –, des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent des centaines de personnes criant des slogans comme « Abandonne la Syrie, occupe-toi de nous », en référence à l’engagement militaire et financier de Téhéran auprès de son proche allié, le président syrien Bachar Al-Assad.

Ces derniers jours, le prix des œufs, aliment essentiel pour les Iraniens des couches défavorisées, a presque doublé. Le budget pour l’année à venir – qui commence le 21 mars 2018 –, présenté début décembre au Parlement par le président modéré Hassan Rohani, prévoit aussi d’augmenter le prix de l’essence de 50 %, aujourd’hui fixé à 20 centimes d’euro le litre. Les sommes allouées aux organisations religieuses et militaires, dont les activités restent opaques, ont suscité de vifs débats, notamment sur les réseaux sociaux. Ces dernières semaines, les rassemblements organisés par des retraités, des ouvriers ou des enseignants qui n’ont pas été payés depuis des mois sont devenus quasi quotidiens, aussi bien à Téhéran qu’ailleurs dans le pays.

Elu en juin 2013 et reconduit pour un deuxième mandat en mai, le président Rohani a fait du redressement économique sa priorité. La signature, en juillet 2015, de l’accord sur le programme nucléaire iranien avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie, la Chine et l’Allemagne, suivie de la levée partielle, en janvier 2016, des sanctions économiques contre Téhéran, ont suscité l’espoir d’une reprise rapide. Mais Hassan Rohani peine à faire venir les investisseurs étrangers, surtout depuis l’élection à la présidence américaine de Donald Trump, qui a refusé de « certifier » l’accord nucléaire et menace d’en sortir.

En Iran, bien qu’Hassan Rohani ait réussi à faire baisser l’inflation, passée aujourd’hui sous les 10 %, contre 40 % avant son arrivée au pouvoir, les Iraniens sont nombreux à avoir du mal à boucler leurs fins de mois. Le chômage des jeunes, notamment, reste très élevé, à 28,8 % selon les chiffres officiels.

Ce vendredi, des manifestations ont également été relatées dans les villes comme Ispahan, dans le centre, Sari et Rasht, dans le nord, et même à Qom, l’un des chefs-lieux de l’islam chiite. Dans toutes ces villes, la police et les forces antiémeutes ont dispersé la foule, parfois à coups de matraque ou à l’aide de gaz lacrymogène. Ces manifestations faisaient suite à celle de jeudi à Machhad, la deuxième ville d’Iran et un autre lieu phare de l’islam chiite, située dans le nord-est. Les appels à manifester se sont propagés sur la messagerie instantanée Telegram et sur Instagram, deux applications largement utilisées en Iran, mais leur origine reste peu claire.

« L’intention de vandaliser »

Or, le slogan « Mort à Rohani », entendu au début de la manifestation de Machhad, fait dire aux partisans du président que ses opposants y ont joué un rôle. Mais assez rapidement, les manifestants ont ciblé l’ensemble du système, criant notamment « Mort au dictateur », l’un des slogans du mouvement de contestation réprimé dans le sang en 2009 contre la réélection controversée de l’ancien président, l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013).

A la fin de la journée de jeudi, la cour révolutionnaire de Machhad a confirmé l’arrestation de 52 personnes qui auraient eu « l’intention de vandaliser des biens publics ». Des arrestations ont également été confirmées à Téhéran.

Pour le moment, ni le président Rohani ni le guide suprême, Ali Khamenei, n’ont réagi à ces manifestations. Le vice-président, Eshaq Jahangiri, a mis en garde les initiateurs de ces « agissements contre le gouvernement » qui, d’après lui, « doivent savoir que cela pourra se retourner contre eux-mêmes ». « Lorsqu’un mouvement commence dans la rue, d’autres se mettent sur la vague et la fin n’est pas celle qu’auraient souhaitée les initiateurs », a-t-il ajouté.

L’imam de la prière du vendredi à Machhad, Ahmad Alamolhoda, lui aussi une grande figure des conservateurs en Iran, a également condamné des slogans « transgressifs » prononcés lors des manifestations. « Il ne faut pas alimenter les médias ennemis », a-t-il demandé aux Iraniens. Les gardiens de la révolution, principale force armée en Iran, ont mis en garde dans un communiqué contre une « nouvelle sédition », reprenant le mot utilisé pour désigner les manifestations de 2009.

« Entendons la voix du peuple »

D’autres politiques refusent de voir dans ces manifestations un « complot », à l’instar du député réformateur Mohammad Sadeghi, qui les considère comme l’expression d’un ras-le-bol « contre les manquements et les défaillances dans la gestion du pays ». « Au lieu de chercher à étouffer la contestation et à lui donner une image politique, entendons la voix du peuple et essayons de trouver une solution », a-t-il écrit sur Twitter.

Aucune agence de presse officielle n’a fait état du second jour de manifestations, vendredi. Seul le site conservateur Tasnim a évoqué le rassemblement à Kermanshah, en expliquant qu’il s’agissait de manifestants demandant des explications sur leurs comptes d’épargne déposés dans des institutions financières illégales qui ont fait faillite.

Samedi, en revanche, la télévision d’Etat diffusait en boucle les images de manifestations prorégime à Téhéran et à Machhad, pendant lesquelles ont été montrées des pancartes avec des inscriptions « Mort à la sédition », en référence là encore au mouvement de protestation de 2009.