Lors d’une manifestation étudiante à Téhéran, le 30 décembre. / AP

Les Iraniens attendaient que le président Hassan Rohani prenne enfin la parole, dimanche 31 décembre au soir, dans un discours préenregistré, après quatre jours de manifestations. Les autorités ont peiné jusqu’ici à répondre au plus important mouvement de protestations de rue qu’ait connu le pays depuis 2009, qui exprime une frustration populaire face à la crise économique et à la stagnation politique du pays.

Alors que deux manifestants ont été tués dans la nuit de samedi à dimanche dans la ville de Doroud, dans la province du Lorestan (Ouest), le ministre de l’intérieur, Abdolreza Rahmani-Fazli, a assuré dimanche que ceux qui « caus [aient] la violence et la peur » seraient « écrasés ». Malgré cette fermeté déclarée, « le gouvernement apparaît réticent à employer la force brute, par crainte qu’une telle réponse joue en faveur de ses opposants en Iran et de ses ennemis à l’étranger. Mais sa patience s’épuise », estime Ali Vaez, analyste à l’International crisis group. Quelque 200 manifestants ont été arrêtés samedi à Téhéran. Parmi eux figuraient « plusieurs étudiants [qui] ont été libérés et remis à leurs familles », a déclaré le vice-préfet de la ville, Ali Asghar Nasserbakht, ainsi que « 40 leaders des rassemblements illégaux ».

Il revient à M. Rohani de répondre, dimanche, aux revendications économiques d’un mouvement sans leader ni agenda clair, largement provincial, d’une ampleur encore limitée, qui rassemble des ouvriers et des membres de la petite classe moyenne paupérisée, des jeunes, des femmes et des membres des minorités ethniques et religieuses. Les premiers slogans, prononcés jeudi dans la ville conservatrice de Machhad, dénonçaient le président Rohani et la corruption de l’Etat, alors que l’économie se relance lentement à la suite de l’accord international sur le nucléaire iranien de juillet 2015, malgré la levée d’une partie des sanctions internationales qui pesaient jusqu’alors sur le pays.

Les autorités religieuses de Machhad et des médias conservateurs avaient marqué dans un premier temps leur sympathie pour ces manifestants. Des proches du gouvernement ont vu dans ce départ de feu la main de leurs opposants politiques, qui cherchaient selon eux à affaiblir M. Rohani. Depuis, les manifestations se sont répandues, et les slogans se sont diversifiés, visant toutes les branches du pouvoir et même la diplomatie régionale de Téhéran, notamment son engagement financier et militaire en Syrie, aux côtés du président Bachar Al-Assad.

Les autorités restreignent l’accès à Telegram et Instagram

Des vidéos diffusées sur la messagerie cryptée Telegram montraient des milliers de manifestants criant notamment « mort au dictateur », présentant ces rassemblements comme ayant eu lieu dans les villes de Khorramabad, Zanjan ou Ahvaz, dans l’ouest du pays. Ces images étaient cependant invérifiables dans l’immédiat. Des manifestations limitées ont également eu lieu à Téhéran samedi et dimanche. Sur Twitter, le ministre des télécommunications, Mohammad-Javad Jahormi, a accusé la messagerie cryptée Telegram, très suivie en Iran, d’encourager le « soulèvement armé ». L’Internet sur les réseaux de téléphonie mobile a été coupé samedi soir puis rétabli dans la nuit. L’accès aux réseaux sociaux Telegram et Instagram sur les téléphones portables a de nouveau été restreint dimanche après-midi. Selon Telegram, il s’agissait d’une réponse des autorités iraniennes au refus exprimé par le réseau de fermer une chaîne cherchant à attiser les manifestations.

C’est la première fois qu’autant de villes sont touchées depuis l’élection présidentielle de 2009 et le mouvement contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Le pouvoir a d’ailleurs mobilisé samedi des dizaines de milliers de personnes dans le pays pour marquer l’anniversaire du grand rassemblement prorégime qui avait sonné en 2011 la fin de ce mouvement.

La promesse de relancer l’économie, affaiblie par les sanctions et des années de gestion erratique, a été au cœur des campagnes présidentielles de M. Rohani, un religieux modéré réélu en mai dernier pour un deuxième mandat. Le président est parvenu à maîtriser l’inflation à environ 10 %. Mais le taux de chômage demeure à 12 %, selon des chiffres officiels sous-évalués. M. Rohani a présenté en décembre au Parlement un budget annuel marqué par une volonté d’austérité : il prévoyait notamment la hausse du prix de l’essence de 50 % pour la nouvelle année iranienne, qui débute en mars. Samedi soir, le gouvernement a cependant assuré que cette mesure serait abandonnée. Une manière pour M. Rohani de répondre aux revendications des manifestants.

« On dirait qu’ils en ont assez »

Dimanche, le président américain, Donald Trump, a de nouveau salué les manifestants iraniens sur Twitter, affirmant que « le peuple » agissait enfin de façon « sage », « face à la façon dont leur argent et leurs richesses sont volés et gaspillés pour le terrorisme. On dirait qu’ils en ont assez. »

M. Trump et le département d’Etat américain avaient dénoncé les arrestations en Iran dès vendredi, saisissant l’occasion d’opposer une nouvelle fois le « peuple » iranien à ses gouvernants, dont les Etats-Unis cherchent à endiguer l’influence, jugée nocive au Moyen-Orient. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, en janvier, M. Trump n’a cessé de dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien. En octobre, il l’avait jugé contraire à l’intérêt national américain. Refusant de le « certifier », il avait menacé une nouvelle fois d’en retirer les Etats-Unis unilatéralement. Ces critiques ont ralenti le retour des investisseurs étrangers en Iran, et limité la relance de l’économie promise par M. Rohani. Dénonçant de longue date le retour en grâce à Washington des partisans d’un changement de régime en Iran, les autorités iraniennes ont accusé depuis vendredi à plusieurs reprises des « agents étrangers » d’attiser les manifestations.