Il s’agit du mouvement de contestation antigouvernemental le plus important qu’ait connu l’Iran depuis la révolution verte de 2009, qui avait suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Depuis cinq jours, le pays est le théâtre de violentes protestations contre les difficultés économiques et le régime. Ces mouvements, qui sont se propagés dans une quarantaine de villes, sont devenus plus violents dimanche 31 décembre, et ont fait au moins 21 morts depuis jeudi.

  • Comment le mouvement a-t-il débuté ?

Les manifestations ont commencé à Machhad (Est), la deuxième ville du pays, avec des slogans contre la corruption et la situation économique du pays. Très rapidement, le mouvement s’est propagé à travers le territoire, gagnant une quarantaine de villes, dont Téhéran. Dans la capitale, une poignée de manifestants seulement ont tenté de se rassembler dans le quartier de l’université, dans le centre de la capitale.

Carte Le Monde

Ces manifestations ont été provoquées par la prise de mesures réduisant les aides sociales à certains retraités, mais aussi par des annonces d’augmentation du prix de l’essence et des œufs. C’est pour cette raison que les manifestants parlent, depuis dimanche, de la « révolution des œufs ».

La promesse de relancer l’économie, affaiblie par les sanctions, a été au cœur des campagnes présidentielles de M. Rohani, un religieux modéré réélu en mai 2017 pour un deuxième mandat. Le président a obtenu la levée de certaines sanctions économiques après l’accord international sur le nucléaire iranien de 2015 et il a réussi à maîtriser l’inflation à environ 10 %. Mais le taux de chômage demeure élevé (12 %), notamment chez les jeunes (28,8 %, selon des statistiques officielles sous-évaluées).

Les manifestations ont également pris une tournure politique, visant tout le système et la diplomatie régionale de Téhéran, notamment son engagement financier et militaire en Syrie, aux côtés du président Bachar Al-Assad.

Lire l’entretien (en édition abonnés) : « En Iran, une révolution menace le régime »
  • Qui est à l’origine de ces manifestations ?

Il s’agit, a priori, d’un mouvement sans leader et largement provincial. Parmi les protestataires qui ont appelé à la démission du président Hassan Rohani « se trouvent de nombreux jeunes iraniens issus des classes populaires qui ne font pas partie de l’élite d’opposition éduquée », soulignent Ramin Mostaghim et Shashank Bengali, les deux correspondants en Iran du quotidien californien The Los Angeles Times.

Les femmes sont également présentes dans les cortèges, et les rassemblements ont été nombreux dans les zones de peuplement des minorités kurdes et sunnites, aux périphéries du pays.

Les autorités accusent, elles, des « fauteurs de troubles » armés de s’infiltrer parmi les manifestants et certains dirigeants ont pointé du doigt le rôle présumé de « contre-révolutionnaires » installés à l’étranger.

Le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a accusé, mardi, « les ennemis » de l’Iran de fomenter des troubles dans le pays. « Ces derniers jours, les ennemis de l’Iran ont employé divers moyens, argent, armes, politiques, appareils de renseignement, pour créer des troubles dans la République islamique », a déclaré le plus haut dirigeant du pays, cité par les médias officiels.

Le général Rassoul Sanaïrad, l’adjoint politique du chef des gardiens de la révolution, a, lui, accusé l’Organisation des moudjahidin du peuple iranien et les groupes monarchistes basés à l’étranger « d’être derrière ces événements », selon l’agence Tasnim.

L'Iran frappé par une vague de manifestations meurtrières
Durée : 01:10

  • Dans quel climat se déroulent les manifestations ?

Selon des vidéos mises en ligne par les médias iraniens et les réseaux sociaux, les manifestants ont attaqué et parfois incendié des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges des bassidjis (milices islamiques du régime). Les manifestants ont aussi mis le feu à des voitures de police.

Les autorités ont déployé des forces de sécurité supplémentaires pour faire face au mouvement de protestations en cours. Mardi matin, l’agence de presse Ilna, réputée proche des réformateurs et citant le vice-préfet de Téhéran, estimait à 450 le nombre de personnes arrêtées dans cette seule ville ces trois derniers jours.

D’après des médias iraniens, plusieurs « meneurs » ont été arrêtés lundi soir après un rassemblement dans le centre de Téhéran de petits groupes de manifestants, dont certains ont scandé des slogans antirégime.

Pour tenter de limiter l’ampleur des manifestations, l’accès à Internet et aux réseaux sociaux a été restreint par intermittences depuis ce week-end. Dimanche après-midi, l’accès à la messagerie cryptée Telegram, très utilisée en Iran, était limité.

  • Quel est le bilan humain de ces manifestations ?

Difficile d’obtenir des chiffres précis, le mouvement se déroulant dans plusieurs localités. Au total, 21 personnes, dont seize manifestants, ont été tuées depuis le début des rassemblements jeudi, selon les estimations disponibles.

Sur la seule journée de lundi, neuf personnes ont été tuées dans le centre de l’Iran. Selon la télévision d’Etat, six manifestants sont morts dans des affrontements nocturnes avec les forces de l’ordre alors qu’ils tentaient de prendre d’assaut un poste de police à Qahderijan, dans la province d’Ispahan.

A Khomeinyshahr, dans cette même région du centre de l’Iran, un enfant de 11 ans a été tué et son père blessé par des tirs de manifestants alors qu’ils passaient près d’un rassemblement. Un membre des gardiens de la révolution, la principale force armée iranienne, a été tué et un autre blessé par des tirs de fusil de chasse à Kahriz Sang (centre).

Les autorités avaient en outre fait état lundi soir de la mort d’un policier, tué par des tirs d’une arme de chasse à Najafabad.

  • Comment réagit le pouvoir en place ?

D’une même voix, le pouvoir judiciaire, l’ensemble des leaders conservateurs et quelques réformateurs, alliés du président Hassan Rohani, ont exigé une répression implacable. Le président iranien a d’abord tenté de calmer le jeu en rappelant la détermination du gouvernement à s’attaquer à la question du chômage. « Notre économie a besoin d’une grande opération chirurgicale », a admis le président iranien, qui avait présenté en décembre au Parlement un budget annuel d’austérité.

Accusant une « petite minorité » de « fauteurs de troubles » qui utilisent la violence, il a toutefois assuré que le gouvernement était déterminé à « régler les problèmes de la population », en particulier le chômage. Le ministère du renseignement a prévenu dans un communiqué que « les émeutiers et les instigateurs » ont été identifiés et que « bientôt, on s’occupera sérieusement d’eux ».