Gilles Simeoni (à gauche) et Jean-Guy Talamoni, le 3 décembre à Bastia. / PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Ce mardi 2 janvier marque une date historique en Corse. A plusieurs égards. C’est, d’une part, la réunification des deux départements et de la collectivité territoriale en une collectivité unique, quarante-deux ans après la bidépartementalisation et près de vingt-six ans après le « statut Joxe » de 1991 qui a permis de doter l’île d’une Assemblée de Corse et d’un conseil exécutif aux compétences élargies. C’est aussi l’accession aux pleins pouvoirs des nationalistes qui, pour la première fois, disposeront d’une majorité absolue au sein de cette Assemblée.

Pour la coalition dirigée par l’autonomiste Gilles Simeoni, chef de file de Femu a Corsica, allié aux indépendantistes de Corsica libera, avec à leur tête Jean-Guy Talamoni, c’est l’aboutissement d’une longue marche qui les a vus conquérir une à une les responsabilités institutionnelles. Commencée en 2014 lorsque la liste conduite par Gilles Simeoni parvint à arracher la mairie de Bastia. Concrétisée aux élections territoriales de décembre 2015 qui virent l’alliance nationaliste devenir la principale force politique de l’Assemblée de Corse, même si elle n’y disposait pas de la majorité absolue, et qui permirent à Gilles Simeoni de prendre la présidence de l’exécutif et à Jean-Guy Talamoni celle de l’Assemblée. Transformée enfin aux élections législatives de juin 2017 qui ont envoyé trois députés nationalistes sur quatre au Palais-Bourbon.

Objectifs flous

Cette fois, les nationalistes, qui ont obtenu 41 des 63 sièges de la nouvelle Assemblée, héritent des pleines responsabilités à la tête d’une collectivité qui gérera plus d’un milliard d’euros de budget et près de cinq mille agents. Et qui revendique de nouveaux transferts de compétences. Dans la foulée du second tour qui avait consacré leur large victoire, le premier ministre, Edouard Philippe, avait déclaré que la Corse pouvait « constituer un territoire privilégié pour tester et mettre en œuvre le pacte girondin » prôné par Emmanuel Macron. Dès lors que ses élus « prendront des initiatives conformes au cadre constitutionnel », avait-il ajouté, estimant qu’« il y aurait quelque chose de baroque à avoir fait voter une loi transférant des compétences puis à estimer, avant même sa mise en pratique, qu’elle est par nature insuffisante ou exercée de façon insatisfaisante ». Une manière de signifier aux élus corses qu’ils s’emparent d’abord des pouvoirs qui leur ont été transférés avant d’en revendiquer de nouveaux.

Le gouvernement va toutefois devoir engager le dialogue avec le nouveau pouvoir qui s’installe ce mardi au siège de la collectivité unique, cours Grandval à Ajaccio. « Le moment d’ouvrir un dialogue véritable est venu, déclarait Gilles Simeoni dans un entretien au Monde le soir du second tour. Les circonstances n’ont jamais été aussi favorables pour un règlement politique par le haut de la question corse. Il ne faut pas laisser passer cette chance. » Reste néanmoins à définir la nature de ce dialogue et à circonscrire les points sur lesquels il peut se concentrer. Or, sur le plan programmatique, en dehors de déclarations principielles d’ordre très général, les objectifs des nationalistes restent très flous.

Message politique

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’intérieur, particulièrement chargée des collectivités territoriales, a été désignée pour mener cette mission. Elle devrait dans les tout prochains jours se rendre sur l’île pour rencontrer les dirigeants nationalistes élus. Avant qu’Emmanuel Macron lui-même se rende en Corse le 6 février, vingt ans après l’assassinat du préfet Claude Erignac. Un déplacement qui prend une valeur symbolique et politique toute particulière pour le président de la République, alors qu’il n’avait obtenu sur le territoire qu’un peu moins de 18,5 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle.

En 2015, lors de leur accession à la tête de la collectivité territoriale, les nationalistes avaient fait une démonstration spectaculaire assortie d’une mise en scène et de discours retentissants. A peine intronisé à la présidence de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni avait prononcé un discours en corse ancré dans les références au « père de la patrie corse », Pascal Paoli, qui avait proclamé en 1755 la première Constitution de souveraineté populaire. Et, à l’issue de la séance, les neuf élus au conseil exécutif avaient prêté serment sur la « bible » du paolisme, la Justification de la révolution de Corse, éditée en 1758.

Qu’en sera-t-il cette fois ? L’ordre du jour de la séance prévoit l’ouverture à 14 h 30 par le doyen d’âge, Pierre-Jean Luciani, président sortant de l’ex-département de Corse-du-Sud. Après l’élection du président de l’Assemblée de Corse puis des vice-présidents, les 63 conseillers éliront les 11 membres du conseil exécutif. La journée se conclura par l’élection du président du conseil exécutif. Nul doute que les nationalistes ne se priveront pas d’adresser un message politique au gouvernement à l’occasion de cette cérémonie d’investiture.