Editorial du « Monde ». Le mouvement de protestation populaire qui embrase l’Iran depuis une semaine place les Occidentaux dans une position difficile : l’accord sur le nucléaire iranien, dont ils sont signataires, est une source indirecte de cette contestation et pourrait aussi en être une victime collatérale.

Conclu le 14 juillet 2015 entre l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) plus l’Allemagne, et l’Union européenne, l’accord prévoit le gel par Téhéran de certaines de ses activités nucléaires, en échange de la levée des sanctions qui frappaient le régime iranien. La signature de l’accord, promue par l’aile réformatrice du régime menée par le président Hassan Rohani, et les espoirs d’investissements étrangers qu’elle a suscités avec la perspective de la levée des sanctions, a fait naître dans la population de fortes attentes d’amélioration de la situation économique. Ces attentes, cependant, ne se sont guère concrétisées, les réticences de la présidence Trump ayant paralysé les ambitions européennes de retour en Iran.

L’affaire est d’autant plus compliquée que les Occidentaux sont très nettement divisés sur l’Iran. Sans craindre de jeter de l’huile sur le feu, le président Donald Trump a ouvertement, et à plusieurs reprises, encouragé les manifestants iraniens dès le début du mouvement. La Maison Blanche voit dans l’expression de ce soutien une occasion de plus de se démarquer du prédécesseur de Donald Trump, Barack Obama, qui s’était montré très prudent face au « mouvement vert », brutalement réprimé, de 2009. Conscients de la confusion sur le terrain, les Européens, eux, se sont limités à rappeler l’exigence du respect de la liberté d’expression et de manifestation, et à dire leur « préoccupation » face à la répression, qui a déjà causé une vingtaine de morts.

Période délicate pour Washington

Ces différences de réactions occidentales ont pour toile de fond une franche opposition sur l’avenir de l’accord sur le nucléaire iranien. M. Trump ne cache pas son hostilité envers l’Iran et pour ce texte, alors que les Européens tiennent à le préserver. Amené à prendre position sur la certification de l’accord en octobre, le président américain avait opté pour une demi-mesure, refusant de certifier lui-même le texte mais laissant au Congrès la responsabilité d’en améliorer les termes. Les choses ont peu évolué depuis.

Or la période actuelle est délicate pour Washington. Entre le 11 et le 17 janvier, M. Trump affronte de nouvelles échéances déterminantes pour le sort de l’accord sur le nucléaire iranien : il devra à nouveau décider s’il certifie l’accord et confirme la levée des sanctions vis-à-vis de Téhéran, ou s’il le dénonce formellement. Cette deuxième hypothèse, ajoutée aux désordres dans les villes d’Iran, aggraverait sans doute la tension à Téhéran.

En France, le président Macron, qui souhaite se rendre en Iran cette année, tente de concilier la défense de l’accord, les inquiétudes sur le rôle de l’Iran dans la déstabilisation régionale, le maintien du dialogue avec le président Rohani, avec lequel il s’est entretenu par téléphone mardi soir 2 janvier, et la prudence face à un mouvement qui peut être écrasé dans le sang. Il a donc appelé M. Rohani à la « retenue » et à « l’apaisement », et demandé au ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, de reporter sa visite à Téhéran prévue vendredi. Sage décision, qui tranche avec l’agitation à Washington.