Jean-Pierre Léaud incarne Jean, un vieux comédien rattrapé par le passé. | SHELLAC

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Parce que le tournage du film auquel il participait, dans le sud de la France, est interrompu quelques jours, un acteur vieillissant décide de retrouver, dit-il, une amie qu’il n’a pas vue depuis longtemps. L’objet de sa quête est en fait le souvenir d’un amour de jeunesse, mort il y a des années. C’est donc à la rencontre d’un fantôme que se rend l’homme, un fantôme qui resurgit et avec qui il va dialoguer dans la maison abandonnée où il s’est installé.

L’acteur, c’est Jean-Pierre Léaud qui l’incarne, introduisant immédiatement dans le plan la mémoire de ce dont il a été lui-même l’emblème, celui d’un cinéma moderne dont le souvenir est désormais un peu lointain.

Une aventure peuplée d’événements imprévus

Au cours d’une brève séquence, il retrouve ainsi une femme interprétée par Isabelle Weingarten : réminiscence et clin d’œil, résurrection brève d’un couple renvoyant subliminalement à La Maman et la Putain, soit une des plus grandes œuvres du cinéma français moderne… Mais Léaud est surtout un comédien qui déjoue tous les naturalismes, et qui va engendrer immédiatement une sensation d’irréalité parfaite pour ce qui s’avère une sorte de conte fantastique très inattendu.

Voir aussi le portrait : Le soleil noir du roi Léaud

Le vieux comédien est dérangé dans sa retraite par un groupe de gamins et de gamines qui ont en tête de tourner un film dans le cadre de ce que l’on devine être un programme scolaire. Découvrant sa profession, ils parviennent à le convaincre de participer à leur projet et lui demandent d’accepter un rôle. Ils écoutent ses conseils et iront de surprise en surprise grâce à sa capacité, parfois burlesque, d’improvisation.

Dès lors, le récit semble suivre les détours d’une aventure peuplée d’événements imprévus. Le ciel méditerranéen, les rues lumineuses du Midi de la France, les couloirs frais et obscurs d’une demeure antique constituent le théâtre et le décor de saynètes réjouissantes, d’une spontanéité trompeuse. Le vieil acteur surprend les enfants eux-mêmes à la fois par sa juvénilité clownesque et par sa capacité à les interroger sur le fondement même de leur désir de filmer une histoire de maison hantée. Cette rencontre va ainsi se transformer, très subtilement, en un récit d’initiation collective.

Des moments cocasses

Ce qui pourrait ne constituer qu’une allégorie facile se révèle une redoutable machine où s’imbriquent, avec virtuosité, spontanéité et maîtrise, vision documentaire et construction mentale. Tout cela n’est guère étonnant lorsque l’on se souvient que l’on avait découvert le cinéaste Nobuhiro Suwa avec son deuxième long-métrage, en 1999, M/Other, chronique d’une vie familiale tout autant qu’approche conceptuelle de la notion de vie quotidienne.

La rencontre des enfants et du vieux comédien ne repose que superficiellement sur celle d’une confrontation entre une vitalité prétendument représentée par ceux-ci et une sérénité qui serait celle de l’homme âgé.

Une redoutable machine où s’imbriquent, avec virtuosité, spontanéité et maîtrise, vision documentaire et construction mentale

D’abord parce que Léaud, devenu une véritable figura, est bien loin de tout ça, possédé lui-même par un esprit enfantin qui déjoue toutes les attentes. Ensuite parce que les enfants, derrière l’amusement et le jeu qu’induit le tournage de leur petit film, tournage donnant lieu à des moments cocasses, incarnent moins la négation de l’obsession morbide de l’homme confit dans le souvenir d’un amour défunt qu’ils n’en proposent, dans leur candide projet, une variation, une sublimation paradoxale.

Car c’est de la mort que parle le film de Nobuhiro Suwa, la mort acceptée comme une péripétie inévitable mais également comme un moment de la vie elle-même. Et l’histoire de fantômes que les gamins ambitionnent de tourner dans les couloirs de cette maison en ruines, histoire issue d’imaginations emplies à la fois de contes de terreur tout autant que de films hollywoodiens à effets spéciaux, serait ainsi la conscience infantile du néant.

Là réside sans doute la subtilité de Le lion est mort ce soir, dans le refus de ce clivage trop facile. Le deuil et la mélancolie, la vision stoïcienne de la fin de toutes choses sont délicatement soumis au crible d’une fantaisie enfantine. C’est le nouveau tour de force d’un cinéaste qui poursuit une œuvre rare, intransigeante et unique.

« Le lion est mort ce soir », film français de Nobuhiro Suwa. Avec Jean-Pierre Léaud, Isabelle Weingarten, Pauline Etienne (1 h 43). Sur le Web : Shellac-altern.org , Facebook.com/toma.shellac