L’avis du « Monde » - Pourquoi pas

Dans un monde idéal, Les Heures sombres serait le volet politique d’un diptyque dont le panneau militaire serait Dunkerque, le beau film de Christopher Nolan. Joe Wright, le réalisateur des Heures sombres, qui a, par le passé, fait preuve d’ampleur (Reviens-moi, 2007) et d’invention (Anna Karenine, 2012), aurait acclimaté à Westminster la rigueur lyrique de Nolan. Mais le monde idéal n’existe pas, sinon Winston Churchill n’aurait pas précipité le cataclysme dans ­lequel son pays fut plongé en 1940 par sa complaisance à l’égard du camp franquiste pendant la guerre d’Espagne (1936-1939).

Les Heures sombres, malgré l’étonnante métamorphose de Gary Oldman, interprète de Churchill, ne s’élève pas au-dessus du tout-venant des productions ­manufacturées avec pour seul ­horizon le ressassement de la fierté nationale britannique (produit d’exportation particulièrement prisé aux Etats-Unis) et l’accumulation de trophées.

Une succession de réparties spirituelles et de confrontations mélodramatiques

Quelques jours après le début de l’offensive nazie en France, le premier ministre Neville Chamberlain (Ronald Pickup) est contraint à la démission. Malgré les réticences des partisans de l’appeasement, au premier rang desquels Lord Halifax (Stephen Dillane), le roi George VI (dans le rôle duquel Ben Mendelsohn a succédé à ­Colin Firth) fait appel au premier lord de l’Amirauté, Winston ­Churchill, malgré son impopularité dans la classe politique britannique, en particulier auprès des parlementaires de son propre camp, les conservateurs.

Comment mettre en scène ce moment d’ingénierie politique sur fond d’apocalypse militaire ? Plutôt que de s’aventurer dans les rouages et le cambouis (à la ­manière de Peter Morgan, le scénariste de The Queen, de Stephen Frears, et de la série The Crown), le scénario d’Anthony McCarten en fait une succession de réparties spirituelles, de confrontations mélodramatiques toutes mises en scène pour accentuer la stature héroïque du personnage principal, tel cet appel téléphonique désespéré à Franklin Delano Roosevelt (David Strathairn).

Britannique universel

Il faut avouer que ce serait un gâchis que de ne pas profiter de Gary Oldman. D’abord parce que cette prise de rôle, trente et un ans après que l’on a découvert Oldman sous les traits de Sid Vicious, dans Sid & Nancy, d’Alex Cox, fait de l’acteur le Britannique universel, capable d’incarner aussi bien les rebuts de la société que ses ­défenseurs les plus ardents. Après avoir bu le sang des Londoniennes (Dracula, de Coppola) et ­défendu les confettis de l’Empire contre le KGB (La Taupe, d’Alfredson), Gary Oldman se transforme en figure tutélaire du royaume.

C’est de transformation qu’il s’agit plus que d’incarnation. Epaissi, dégarni, Oldman adopte les intonations, les mimiques et les gestes de son modèle. C’est le rêve de tous les directeurs de ­musée de cire qui s’accomplit : du passé surgit un spectre en trois dimensions, paré de toutes les qualités – vision politique, ténacité, génie oratoire – et de juste ce qu’il faut de défauts pour rappeler que, de son vivant, il fut un être humain.

On ne s’étendra pas sur les résonances contemporaines de cette eulogie au temps du Brexit, on se contentera d’observer qu’elle prend ici la forme d’un spectacle simpliste, dont est évacué le principal intéressé – en l’occurrence le peuple britannique. Et quand scénariste et réalisateur tentent de réintroduire les loyaux sujets de Sa Majesté dans le jeu, le résultat touche au ridicule : au hasard d’une alerte aérienne, Sir ­Winston prend le « tube » et rencontre de vraies gens qui lui ­témoignent de leur admiration et de leur patriotisme.

C’est le rêve de tous les directeurs de ­musée de cire qui s’accomplit : du passé surgit un spectre en trois dimensions

Curieusement, Joe Wright, qui avait presque incidemment mis en scène ce moment de l’histoire britannique dans Reviens-moi et en avait extrait un mélange d’exaltation et de terreur, se trouve comme paralysé face à cette matière, comme si toute ­inflexion du panégyrique vers la complexité relevait du sacrilège.

Le film se détend par moments, lorsque l’on retrouve le grand homme dans son intimité. La peinture que Kristin Scott ­Thomas fait de Clementine ­Churchill, qui traite son alcoolique de mari (un trait impossible à passer sous silence) avec une ­attention ironique très maternelle, instille un peu d’humour dans ces Heures sombres empreintes d’esprit de sérieux. Quant à la grandeur, le film ne l’effleure que dans les séquences oratoires. Là, Gary Oldman peut s’envoler et toucher à la légende qui est ici pieusement relatée.

Les Heures Sombres / Bande-Annonce 1 VOST [Au cinéma le 3 janvier]
Durée : 02:18

Film britannique de Joe Wright, avec Gary Oldman, Kristin Scott Thomas, Ben Mendelsohn, Lily James (2 h 05). Sur le web : www.facebook.com/UniversalFR

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 3 janvier)

Nous n’avons pas pu voir :

  • A Fuller Life, documentaire américain de Samantha
  • Burn Out, film français de Yann Gozlan
  • Fireworks, film d’animation japonais de Akiyuki Shinbo, Nobuyuki Takeuchi
  • Insidious la dernière clé, film américain d’Adam Robitel