L’avis du « Monde » - A voir

L’heureuse sortie en salle du quatrième long-métrage de Pema Tseden permet de découvrir le travail de cet écrivain cinéaste, disciple du maître iranien Abbas Kiarostami, jusqu’alors jamais distribué en France en dehors du circuit des festivals, et tristement réputé pour ses démêlés avec les autorités chinoises – en juin 2016, une prise de bec avec des policiers, à l’aéroport de Xining, lui avait valu quelques jours d’hospitalisation et de détention.

Originaire de l’Amdo, à l’ouest de la Chine, il est l’un des rares à incarner l’hypothèse d’un cinéma tibétain qui ne soit pas de l’ordre de l’excursion exotique ou du particularisme revendiqué. Et il n’est pas étonnant, comme pour toute culture minoritaire et menacée, que ses récits rejouent à leur façon le mythe du jardin d’Eden, c’est-à-dire l’inévitable corruption de l’ancien par le nouveau, du village par la ville, de l’existence concrète par les séductions illusoires.

C’est aussi, peu ou prou, ce que raconte Tharlo, sans déploration, sans commisération, mais avec l’âpre sinuosité d’un conte cruel. Tharlo, berger, se retrouve convoqué au poste de police pour l’émission, devenue obligatoire, de sa carte d’identité. Mais il lui manque les photos adéquates, qu’il doit aller faire dans la ville la plus proche. Sur place, il rencontre une coiffeuse, qui l’invite à boire puis à passer la nuit chez elle. Au petit matin, sur le ton du soupir amoureux, elle l’encourage à vendre son cheptel et fuir avec elle à Lhassa ou à Pékin. Sans flairer l’arnaque, le pauvre homme retourne dans ses paysages rocailleux et laisse cette promesse mûrir en lui… A la fin de l’aventure, décoiffé, renommé et frappé d’amnésie, il finira par récupérer sa carte, sans que l’on ne sache plus très bien de quelle identité celle-ci est la dépositaire.

Deux temporalités

Le film programme ainsi, étape par étape, la déconvenue de son berger trop naïf, selon les termes d’une écriture austère et rigoureuse, qui mêle un noir et blanc minéral à un découpage méditatif en longs blocs de temps. Il est vrai que le « plan qui dure » est devenu l’une des tartes à la crème d’un certain cinéma d’auteur radical chic. Mais ici, cette durée parfois pléthorique est la traduction sensible d’une rencontre entre deux mondes et, plus précisément, deux temporalités : celles, irréconciliables, de la ruralité et de l’urbanité. Le berger transporte avec lui ses cycles immémoriels, ses durées longues, qui permettent aux gens de la ville d’y enfouir leurs véritables intentions.

Chaque scène prend ainsi la forme d’un petit théâtre unitaire, que les acteurs habitent avec un naturel confondant, confinant par moments à la grâce (la scène du karaoké), tandis que la respiration longue du montage laisse les plans mourir à petit feu dans les silences des conversations. Le film en tire un alliage convaincant de dureté et de douceur, d’austérité et de générosité, de cruauté et de compassion qui fait tout son prix. Cédant parfois à l’écueil du « paysagisme » (notamment dans les scènes en montagne), Pema Tseden n’en orchestre pas moins une scansion fascinante de glissements du jour vers la nuit, où son protagoniste plonge tête baissée jusqu’à y laisser sa véritable personnalité.

Bande Annonce - THARLO, le berger tibétain de Pema Tseden
Durée : 01:40

Film chinois en langue tibétaine de Pema Tseden. Avec Shide Nyima, Yangshik Tso (2 h 03). Sur le web : www.eddistribution.com/tharlo-berger-tibetain , www.facebook.com/eddistribution/