« Amusez-vous bien à créer des comics Marvel incroyablement ennuyeux que vous ne posséderez pas et ne pourrez partager avec personne ! » Comme une bonne partie des amateurs de pop culture et de comics américains, le site The Verge a accueilli avec dérision la dernière annonce de Marvel. Fin décembre, l’emblématique éditeur américain de comics a dévoilé Create your own, une plate-forme permettant aux internautes de concevoir leur propre bande dessinée, en y intégrant des personnages issus de l’univers Marvel.

Marvel Create Your Own Introduction
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La plate-forme n’a pas encore ouvert – elle « arrivera bientôt » selon Marvel –, mais elle a déjà fait l’objet d’un grand nombre de commentaires cinglants. En cause : ses conditions d’utilisation particulièrement restrictives. A commencer par le fait que toutes les créations des internautes appartiendront non seulement entièrement à Marvel, mais ne pourront officiellement pas être partagées sur d’autres plates-formes par leur auteur.

Contraception, lobbyistes et parcs d’attraction

Mais ce sont surtout les restrictions relatives au contenu de ces bandes dessinées qui ont suscité consternation et railleries. Marvel a dressé une longue liste des contenus qu’il est interdit de faire apparaître dans ces comics amateurs, et celle-ci a parfois de quoi surprendre.

Outre la pornographie, la violence ou le racisme, inscrits de façon prévisible, Marvel refuse, pêle-mêle : la mort, la contraception, l’alcool, les abeilles tueuses, la politique, les lobbyistes ainsi que les parcs d’attraction, studios de cinéma et films d’animation qui n’appartiendraient pas à Marvel ou Disney, sa maison mère. Le « sensationnalisme » est aussi interdit, et en guise d’exemple, Marvel cite, en plus des abeilles tueuses, « les aliens, les ragots, etc. ».

Mais c’est une autre ligne qui a particulièrement indigné les internautes : elle souligne qu’est aussi interdit « tout autre sujet controversé », précisant, entre parenthèses, « questions sociales, etc. ». Marvel interdit aussi la « promotion de modes de vie alternatifs », ce qui a fait grincer des dents.

« L’épine dorsale de la plupart des comics »

« Ils sont bêtes chez Marvel ou quoi ? Les questions sociales sont littéralement l’épine dorsale de la plupart des comics », s’indigne une internaute. Une autre juge, quant à elle, absurde « le fait que Marvel pense qu’il soit humainement possible de raconter une histoire de superhéros sans aucun élément politique ». « Pas de questions sociales, dit une entreprise qui a engendré les comics les plus beaux et les plus populaires en évoquant des questions sociales », déplore une autre.

« Est-ce que Captain America a toujours le droit de combattre les nazis ? », ironise, de son côté, le site féministe The Mary Sue, spécialisé dans la pop culture. Et d’évoquer le personnage de Kamala Khan, première héroïne musulmane de Marvel, introduite en 2013 : « va-t-on vraiment l’interdire d’évoquer l’islamophobie ? », abonde The Mary Sue.

Un certain nombre de critiques se concentrent aussi sur l’interdiction de la « promotion de modes de vie alternatifs ». « Ce terme permet plusieurs définitions potentielles, du véganisme au tatouage », souligne Polygon, un site spécialisé dans le jeu vidéo. « C’est aussi un terme souvent utilisé pour désigner les membres de la communauté LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres]. »

Détournements

En imposant cette multitude de règles, Marvel veut s’assurer que le contenu produit par les internautes soit accessible aux enfants et ne choque aucune sensibilité – alors même que les comics produits par l’éditeur ne respectent pas ce cahier des charges. Etablir de telles restrictions est aussi une tentative d’éviter les détournements grossiers, vulgaires et provocants qui auraient, à coup sûr, afflué sur la plate-forme dès ses premières heures d’existence.

Et peut-être aussi d’esquiver un certain nombre d’amateurs de fanfictions, cette pratique très populaire consistant à écrire des histoires se déroulant dans l’univers d’une œuvre, comme un comic-book. Une grande partie de ces fanfics mettent en scène des histoires d’amour, souvent homosexuelles, entre des personnages, parfois de façon très graphique – Marvel pourrait voir d’un mauvais œil que cette créativité ne s’exprime sur cette nouvelle plate-forme. Celle-ci « passe à côté de tout ce qui rend les fanfictions géniales », regrette une internaute.

A côté des réactions offensées, d’autres passionnés de comics ont préféré jouer la carte de l’humour, en tentant de rassembler dans une seule image tout ce que Marvel interdit dans ses conditions d’utilisation.

« Je suis obligé de contourner l’application de Marvel pour que je puisse montrer au monde ma vision, sans compromis », ironise cet internaute. Dans sa bande dessinée, Spider Man prononce des gros mots, se retrouve confronté à des abeilles tueuses, défie un scientifique nazi, évoque un film du studio Dreamworks, avant de conclure, une fois son ennemi anéanti : « je vais aller me promener dans le parc et trouver des mecs sexy à embrasser. »