Ari Vatanen en Allemagne, en 2009. / FRED DUFOUR / AFP

Rencontrer Ari Vatanen, champion du monde des rallyes en 1981 et quadruple vainqueur du Paris-Dakar, c’est, pour l’amateur de sport auto, approcher un mythe, le plus capé des « Finlandais volants », cette lignée de pilotes surdoués venus du froid, des Kankkuken aux Mäkinen. Le plus talentueux, seul capable de faire planer sa voiture au-dessus de la piste, qu’elle soit de terre, de roche, de glace ou d’asphalte, tout en suivant son tracé, comme aimantée. Pour le commun des mortels, Vatanen, 65 ans, c’est celui qui a fait rêver toute une génération, avant de séduire la suivante grâce aux vidéos de ses exploits postées sur YoutTube.

Reconnaissable entre tous malgré ses rides, à la réception de l’hôtel François Ier à Paris (8e), il arbore la même coupe de cheveux, la même silhouette, chemise classique sous une veste matelassée, foulard chech à motif mauve. S’il participe encore à quelques rallyes, ce sont surtout ses multiples fonctions qu’il « drive » désormais. Exploitant agricole, député européen (1999-2009) de centre-droit, ambassadeur BMW et président d’un des 246 clubs membres de la Fédération internationale de l’automobile (FIA)… Ari Vatanen conduit sa vie comme une Turbo 16. Il attaque l’entretien pied au plancher.

L’avenir de la planète

« Les gens disent n’importe quoi. La vérité n’existe plus !  » En cause ici, non pas le sport automobile mondial, comme on pourrait s’y attendre, mais l’avenir de la planète. Un thème qui lui tient particulièrement à cœur. A l’origine de son courroux, les récentes campagnes environnementales menées en France, comme celle pour l’arrêt anticipé des centrales nucléaires alors que l’on encourage l’achat de voitures électriques.

Sur l’environnement toujours, Ari Vatanen pourfend les opposants à l’emploi de pesticides et d’OGM, comme les défenseurs des cultures bios, ce « luxe des pays riches ». Des convictions qui lui viennent de son enfance, en terre agricole, mais aussi de sa propre expérience en tant que propriétaire et exploitant avec son épouse, Rita, du domaine de Taillas, dans le Var.

« Comment peut-on dire à la “famille humaine” que nous, en haut, nous les 10 % les plus privilégiés, avons décidé que l’on va tout stopper, alors qu’en bas, dans les pays les plus pauvres, ils n’ont ni toilettes, ni lumière », questionne le champion. La décroissance, selon lui, n’est pas la solution. Pas plus que le malthusianisme proposé par les jeunes Verts de Finlande.

La passion politique

C’est donc pour apporter sa pierre à l’édifice qu’Ari Vatanen décide, après avoir pris sa retraite de la compétition en 1998, de se présenter aux élections européennes de 1999, mu par le besoin de se rendre utile, de mettre sa notoriété au service de « l’humain ». Très populaire, il est élu sur la liste du Kokoomus, parti conservateur-libéral finnois, affilié au Parti populaire européen (PPE).

La politique, sa deuxième passion, va combler cet hyperactif. Sa carrière de député européen durera dix ans. D’abord investi des dossiers tourisme et transports, puis à la commission des affaires étrangères, le sujet le passionne, comme tout Finlandais marqué par l’attaque russe lors de la seconde guerre mondiale – la Finlande, qui n’appartient toujours pas à l’OTAN, fêtait le 6 décembre 2017 le 100e anniversaire de son indépendance. « Mon père avait une sœur et 6 frères. Quatre d’entre eux sont morts pendant l’invasion. » Il n’est pas sollicité pour un deuxième mandat dans son pays.

L’automobile

La discussion se poursuit place de la Concorde, cadre idéal pour débattre du troisième thème de prédilection d’Ari Vatanen : l’automobile. Dos au siège de la FIA, le lieu a accueilli plusieurs départs du Paris-Alger-Dakar des années 1980 (1982 à 1984), en alternance avec le Trocadéro et Versailles.

Côté mobilité, la capitale a depuis bien changé son rapport à l’automobile. La maire Anne Hidalgo ayant décidé d’en bannir les véhicules à essence en 2030, Ari Vatanen pose assis sur un Vélib’, alors que les voitures bouchonnent sur leur rangée. « L’avenir proche est pourtant aux moteurs thermiques améliorés », soutient-il, en attendant que les électriques gagnent en autonomie : « Je vais toujours trop loin pour les voitures électriques ! », s’amuse le Finlandais, ambassadeur de la marque BMW.

Côté sportif, l’image d’Ari Vatanen pilote reste associée à la marque Peugeot. Une carrière de pilote qui trouve son origine dans le drame. Il n’a que 8 ans, lorsqu’il voit mourir son père à côté de lui, dans un accident de voiture. « Nous allions à un enterrement. Mon père venait de faire installer les ceintures à l’avant. Il n’a pas eu le réflexe de l’attacher. » Indemne, l’enfant déclare alors à sa mère qu’il va « dompter la voiture. »

Ari Vatanen sur le Dakar en 2005. / MARTIN BUREAU / AFP

Il obtient son permis le jour de son anniversaire, à 21 ans, « pour ne pas perdre une journée ». Talentueux, fougueux, il débute en rallye en 1970 et est couronné champion du monde en 1981 avant d’enchaîner les victoires durant cinq ans. Des succès qu’il minimise aujourd’hui et dont il parle peu. Si ce n’est pour commenter la photo encadrée le montrant tout en jaune devant sa 205 Turbo 16, lors du Dakar 1987 qu’il a remporté. « C’est la photo de la renaissance. »

Une renaissance après deux ans de cauchemar. L’année 1985 avait pourtant débuté par une victoire d’anthologie, à Monte-Carlo. Mais quelques semaines plus tard, lors du rallye d’Argentine, la voiture d’Ari Vatanen fait un triple tonneau. Le pilote perd beaucoup de sang, les deux jambes sont touchées, un pied broyé. Dix-huit mois de soins et de rééducation plus tard, Ari Vatanen remis physiquement. Mais mentalement, la dépression est profonde. Professionnellement, sa voiture, classée Groupe B (des « bombes » de plus de 500 CV), a été interdite de rallye. La firme de Sochaux doit se trouver un autre terrain de jeu.

Sa « deuxième vie »

Ce sera le Paris-Dakar 1987 où, soutenu par Jean Todt, Ari Vatanen débute sa « deuxième vie ». Le pilote « vole » toujours aussi vite au-dessus des dunes et gagne quatre Dakar – en 1987, 1989, 1990, 1991. Ari Vatanen a mûri. Puisque la vie lui donne une deuxième chance, il va la mettre à profit pour lutter non plus seulement pour la victoire en course mais contre la pauvreté, la misère, qu’il côtoie sur les six continents.

C’est la même volonté de lutter contre les injustices qui le pousse, en 2009, à se présenter contre son « grand copain » Jean Todt à la présidence de la FIA. Pour la première fois, les deux hommes s’opposent, en lutte pour succéder au controversé Max Mosley. Les deux hommes ne s’adresseront plus la parole pendant deux ans, avant de s’expliquer. Ari Vatanen finit par entrer à la FIA, en 2013, où il préside la Commission des épreuves sur route, jusqu’en décembre 2017.

« Je n’ai jamais su planifier une carrière ! J’ai juste couru après mes rêves », commente-t-il en repensant au road book de sa vie. Fausse modestie ? « Un homme ne doit pas être mis sur un piédestal, jamais », répète-t-il. Même s’il a gravi 101 podiums ?